25.1.09

Foucault et l'histoire du silence


Michel Foucault est sans doute le premier qui a donné à l’histoire son statut respectable, en faisant d’elle une discipline rationnelle, plutôt près de l’épistémologie que des abstractions métaphysiques. Nous avons devant nous sans doute le même succès chez Dumézil, Lévi-Strauss, Popper, Khun, Bachelard, et pourtant c’est lui qui a été le plus clair quant à la fermeté de cette discipline qui reste toujours difficile à entretenir. Il a surtout libéré l’histoire des illusions et des pré-jugements engendrés par Hegel, c’est grâce à lui qu’on est passé à l’histoire rationnelle et ferme quant à ses engagements vis-à-vis de la rigueur scientifique, c’est pour quoi je trouve en lui le fondateur du nouvel historicisme réel et soumis aux règles formelles et d’ordre scientifique.

Foucault est l’un des grands philosophes de notre époque, il ne s’est pas arrêté à la limite de mise la en question de notre pensée contemporaine, il est allé jusqu’à la mise en question de notre existence, nos comportements et nos pratiques. La question pour lui est arrivée jusqu’à voir le lien entre pouvoir, sexualité, corps, raison et folie ; pour lui l’histoire parle de tout ça, car l’essentiel pour lui n’était pas de fonder une histoire du passé, mais plutôt fonder un passé du présent, c'est-à-dire qu’il nous a mis face à nous même.

Il avait cette capacité et ce courage extraordinaire de décamoufler et de déceler la technologie du pouvoir, et de déconstruire tout l’édifice sur lequel se sont fondés des rapports de l’hégémonie et de la répression ; et il n’a fait exception ni pour la psychiatrie, ni pour les violences pratiquées dans les établissements pénitentiaires, il n’a pas non plus fait exception pour les rapports des hommes à la sexualité.

Cette grande masse des hommes jetés et enfermés dans des carreaux bien architecturés du pouvoir, privés du droit à la parole et à la voix, c’est cette masse qui était au centre d’intérêt de Foucault, afin de lui rendre la parole et le droit à l’expression, et afin d’obliger la société à l’écouter et de reconnaître sa présence et sa voix digne d’être écoutée et entendue. L’histoire de la folie n’est pas non plus une histoire théorique, elle est une protestation réelle contre l’injustice, la contrainte et l’exclusion. C’est ainsi que les travaux de Foucault ont changé la perception de tout sur ce que veut dire la prison qui n’est pas seulement un lieu où on met les criminels et les délinquants, mais elle est essentiellement une machine de production de nouvelle criminalité et de nouvelle délinquance au service de l’économie et de la force du pouvoir. Dans l’Histoire de la sexualité, Foucault montre la présence imposante du sexe où s’est accrue des institutions qui ne parlent que de lui, et de sa nature, pour le généraliser selon une stratégie bien étudiée et calculée.

Pour lui l’histoire est ce domaine à travers lequel il a attaqué et critiqué toutes les formes de pouvoirs : médicale, politique ou pédagogique … etc. L’histoire est là une ontologie du présent. La philosophie est elle-même n’est qu’un champ politique et historique. La politique ne veut pas dire ici, ce domaine où des personnes professionnelles sont les porteurs de vérité qui parlent au nom des gens et de leurs intérêts, ce rôle est aboli définitivement par Foucault.

De quoi parle l’Histoire de la folie ? Elle parle des illusions de la psychiatrie et ses mythes, elle parle du discours de cette psychiatrie et ses pratiques médicales qui isolent et renferment les gens dans des lieux d’enfermement clos, et elle parle de l’histoire de l’internement et ses violations des droits à la parole et à l’expression. On ne peut comprendre ce mouvement d’anti psychiatrie et ces mouvements de revendication des droits, de la protection écologique et la lutte contre les guerres, que par cette forme d’histoire fondée par Foucault. Cette histoire et bien elle qui s’est dirigée vers la surveillance et la punition pour montrer comment la raison occidentale a permis à un discours médical de mettre la main sur la folie au nom de la médecine psychiatrique et ses différentes conceptions psychologiques dans le champ de la positivité, comme il a fait de la mort un sujet de science sur l’individu pour confirmer le partage entre le pathologique et le normal, entre le raisonnable et le fou, entre le vivant et le mort, entre le savant et l’ignorant, entre le producteur et le stérile, entre le juridique et le criminel, entre le morale et l’immoral, c'est-à-dire, qu’il a produit une valeur ajoutée du pouvoir et de toutes les formes de surveillance sociale. Cette histoire est aussi elle qui a montré comment la raison occidentale a changé l’exécution spectaculaire devant la fête du public pour donner au souverain plus de force, par la mise de l’individu dans espace clos qui permet sa surveillance et le contrôle méticuleux de ses mouvements et la domestication de son âme, pour que le citoyen devienne plus docile et plus maniable. C’est elle-même qui a monopolisé le sujet de la sexualité pour l’orienter selon des objectifs et des intérêts du pouvoir, non pas en le réprimant, mais en le transformant à un moyen de production et en créant plusieurs procédures plus efficaces et plus bavardes sur le sexe, afin d’élargir la production même de la sexualité en n'en épargnant ni la sexualité de l’enfant, ni celle des pervers ; au contraire, elle multiplie le discours sur elle et non le réprimer.

La raison occidentale a pu mettre pour la sexualité une taxinomie à quatre catégorie : - L’hystérie du corps féminin – l’éducation sexuelle – l’aspect social – la contrainte du désire individuel à la médecine. De cette façon, la fécondation, la jouissance et l’esthétique sont devenues objet de quantification, de distribution et d’orientation. Quant une décision gouvernementale exige la planification de la fécondation sous divers prétextes, elle maîtrise la sexualité et sa production selon des fins exigées par le pouvoir.

C’est l’histoire du silence et ce qu’il cache d’oppression et d’inflation du pouvoir ; il définit et marque les signes de rupture qui s’est produite dans la pensée occidentale moderne. C’est cette forme d’histoire que Sartre et beaucoup d’autres intellectuels des années soixante dix ont refusée, et pourtant c’est elle qui a pu montrer son importance dans la compréhension de ce qu’est l’homme et ce qu’est la raison. Nous sommes là, devant une nouvelle tendance de l’histoire réelle sans que nous ayons affaire ni à l’historicisme, ni aux esprits divins.

Le concept de l’histoire chez Foucault couvre trois axes de nos différents discours : Le premier consiste à intégrer implicitement Nietzsche, c'est-à-dire, une critique à l’histoire vue comme continuité et ligne relative à une origine ou un telot, puis critique aux discours des historiens comme une histoire monumentale et supra historique. Le deuxième consiste à objectiver le concept de l’événement, c'est-à-dire, l’idée d’une petite histoire constituée d’un nombre illimité de monuments muets et de récits sur une simple vie et un fragment d’existence, de là l’importance de l’idée de l’Archive chez Foucault. Le troisième se développe précisément à partir de l’Archive qui a poussé Foucault à collaborer avec beaucoup d’historiens, c'est-à-dire une problématisation de ce que peut être la relation entre la philosophie et l’histoire, ou plutôt, la relation entre la pratique philosophique et la pratique historique après avoir quitté le couple traditionnel: philosophie de l’histoire/histoire de la philosophie.

TRIBAK AHMED

1- Bachelard Gaston : « La formation de l’esprit scientifique ».

2- Deleuze Gilles : « Foucault ».

3- Foucault Michel : « L’histoire de la folie ».

4- Foucault Michel : « L’archéologie du savoir ».

5- Foucault Michel : « La volonté de savoir ».

6- Hegel : « La raison dans l’histoire ».

7- Hegel : « La phénoménologie de l’esprit ».