3.2.08

Le marteau de Nietzsche



Le marteau de Nietzsche est une métaphore considérable dans sa pensée. Il est vain de la prendre pour un terme précis. Par contre, il est nécessaire de la voir à partir de son sens lié à la généalogie. Nietzsche parle sérieusement d’un marteau, mais il parle aussi d’idoles.
Dans son analyse généalogique, il parle tantôt de marteau médical, celui que le médecin utilise pour diagnostiquer la maladie d’un corps « le diapason ». Tantôt il parle de sculpteur. Il parle aussi du clavier de piano d’un musicien. Mais le marteau de Nietzsche n’est, ni celui du médecin, ni celui du musicien, ni celui du sculpteur. Il est quoi alors ?
Voyons ce qu’il y a de commun chez tous ces utilisateurs de marteau : un son qu’on cherche, et c’est à partir de ce dernier qu’on cherche un sens précisément ! Or, ce n’est pas le son qui intéresse Nietzsche, mais c’est le sens qu’il représente, et c’est ce sens que le médecin ou le musicien cherchent, et non pas le son lui-même. Le sculpteur ne cherche pas le son, mais une forme qui devrait signifier, une forme relative à un sens. C’est donc la forme ; mais cette dernière n’est que pour représenter un idéal esthétique, il n y a pas de son, et la forme n’est pas vraiment importante, mais c’est l’idée ou plutôt le sens que le sculpteur cherche.
Dans les trois cas, nous voyons finalement, que c’est le sens qui est visé. Or Nietzsche lui même ne cherche pas les idées ou les idoles en soi, mais ce qu’elles signifient, c'est-à-dire le sens qu’elles émettent. Son marteau s’ajoute aux autres dans ce niveau commun : Le sens. La visée de Nietzsche reste finalement le sens, et le marteau est un outil d’interprétation.
La quête généalogique a pour objet direct les idoles, qui elles, ont une histoire, parce qu’elles se sont formées dans un parcours historique. Seulement dans ce parcours, elles ont signifié des sens. C'est-à-dire qu’elles ont modifié et se sont modifiées durant leurs parcours. Le sens change constamment selon l’intérêt des gens qui en donnent la portée selon leur combat dans la vie, selon leur volonté de puissance. Le sens se produit et change selon la volonté de puissance.
Or la volonté de puissance vient de la vie des sens, elle vient des pulsions, des désirs, des ambitions, des affects. Le sens se produit dans ce mouvement qui oppose les hommes à la réalité qui reste toujours objet d’amour ou de haine, de passion ou de refus. Les idoles se sont formées dans cette relation toujours conflictuelle et violente. Mais les idoles sont une déformation des passions, une production maladive du sens. Une volonté faible ne gagne pas ce conflit, elle échoue, alors, elle crée des sens pour justifier l’échec et le détourner, elle en fait un sens mensonger. Alors la réalité devient une illusion, et le sens trompeur remplace la réalité, et c’est comme ça qu’il devient idole, c'est-à-dire une fausse idée, une illusion créée devenant sacrée. De là, sa négativité, puisqu’elle traîne les hommes vers la méconnaissance et le sous-estime de soi. Cette méconnaissance conduit l’homme à la négation de la vie, au nihilisme.
Platon en a donné l’exemple, à partir de cette histoire de la caverne. Selon lui, notre rapport à la réalité serait comme s’il était contradictoire : ce qui nous parait vrai n’est que facticité, et ce qui est représentation est bien la réalité. Le vrai sens de notre réalité, notre vraie vérité est là haut : un idéal, une idole. Ainsi la vertu, ce n’est pas celle qui vient du corps, des affects et des pulsions, mais celle qui est défaite de toute sensibilité. Il faut oublier le corps et ses demandes trompeuses, c’est vers quoi emmènent les idoles.
En revanche, il faut se rappeler du monde vrai en dressant le corps à éviter et négliger ses demandes. Le vrai n’est pas ce qui vient du corps, mais ce qui vient de la représentation. Le Platonisme est un dualisme qui sous-estime le corps pour valoriser les idéaux. Le salut des gens est dans la méditation des idéaux et non pas dans la satisfaction du corps. Le Platonisme est l’application du christianisme dans la philosophie.
Les idoles se sont modifiées durant le temps, elles ont pris un masque ; cependant, les hommes qui ont oublié l’histoire de ces idoles, en deviennent victime. Ils ne peuvent plus reconnaître la nature trompeuse de ces idoles, c’est pourquoi, Nietzsche parle de marteau qui sert à démystifier les idoles comme illusions, pour permettre aux hommes de revenir à eux mêmes, à leurs natures, à leurs corps. Par l’effet négatif des idoles, les gens tombent malades, puisqu’ils renoncent à leur santé naturelle ; puisqu’ils renoncent à l’appel de leur corps. Les idoles sont une contre nature, puisqu’elles empêchent la volonté de puissance des hommes.
Le surhomme est l’homme qui a compris que les idoles sont de fausses idées qui l’empêchent de vivre sa nature. Il n’est pas un homme surnaturel, il est l’homme sachant que nulle vérité n’existent en dehors de sa volonté et de sa guerre pour gagner le défi contre tout ce qui empêche la vie, la création de la vie. Il est l’homme qui a compris le danger mortel et morbide de idoles et est allé jusqu’à détruire et tuer la plus grande des idoles : Dieu. La tâche de Zarathoustra est de dire cela aux hommes, de leur faire comprendre qu’ils sont les plus fortes des créatures et qu’ils doivent aller encore plus loin dans leur volonté de puissance, d’aller vers leur extrême, c'est-à-dire de se surpasser. Le marteau de Nietzsche n’est que la généalogie qui montre comment les idoles se sont formées comme mensonges pour nuire à la vie des hommes ? Ce marteau est un outil de construction du nouvel homme : le surhomme.

TRIBAK AHMED


1.2.08

Métaphysique et pensée



Que signifie la fin de la métaphysique ? D’abord, c’est Heidegger qui a annoncé cette proposition ; c’est d’ailleurs le point de départ de son projet philosophique : reprendre la question métaphysique pour en finir. Heidegger pose la question fondamentale ! Qu’est ce que l’être ? Il arrive à ceci : la métaphysique (de Platon à Hegel) a oublié de répondre à cette question, elle l’a substituée par une autre : Qu’est ce que l’étant ? Toutes les métaphysiques ont travaillé dans ce chemin, Aristote trouve que l’être de l’étant tourne au tour de éléments principaux : la forme et la matière indéfinie. Descartes trouve l’être de l’étant dans le « je » pensant, le « je » qui doute, puis arrive à l’évidence qu’il est le départ même de l’être. Tous les « étants » s’expliquent par le fait qu’un « je » est sûr qu’il pense, et qu’il ne peut pas se tromper en cela : que tous les « étants » se représentent dans l’immédiateté devant ce « je » ; et par là, ces « étants » sont. Hegel, voulant dépasser le vide entre le « je » et l’étant, finit par trouver un rapport de médiation entre le « je » et les « étants », c’est que le cour de la négation fait qu’il y’a une cohérence organique entre ce « je » et ces « étants », cela veut dire qu’il y a un TOUT qui n’est ni le « je » ni les « étants », mais la raison toujours en devenir. Dans toutes ces expériences métaphysiques, c’est l’étant qu’on pense, mais jamais l’être. La métaphysique est donc un oubli, un impensé. La fin de la métaphysique est donc le fait de penser qu’il y’a un oubli, un impensé ; et dépasser la métaphysique, c’est penser l’impensé. Le fait de constater qu’il y’a un impensé, qu’il y’a un oubli de l’être, est un fait majeur dans l’histoire de la pensée, ça change tout, puisque l’objet de la pensée ne sont plus les causes finales qui expliquent l’être, mais l’impensé dans toute pensée ; or l’impensé dans toute pensée est l’état de dévoilement de l’être qui n’a pas encore dévoilé ce qui est resté comme non dévoilé de l’être, et cela, c’est l’objet de la pensée et non pas de la métaphysique ; cette dernière a dévié son chemin en n’insistant que sur l’étant, considérant ses réponses apportées comme vérité finale de l’être. La métaphysique ne reconnaît pas l’impensé, elle ne le pense pas. Mais la pensée continue après la métaphysique puisqu’elle refuse ses réponses, et prend en charge de penser l’impensé. Penser l’impensé, c’est essentiellement agir ; cela veut dire pousser l’être à se dévoiler par l’effet de l’action. La pensée est donc l’état de la technique actuelle qui traverse l’être de l’étant et le dévoile. La fin de la métaphysique est la fin d’une pensée qui n’a pas achevé sa quête, en oubliant l’être ; mais cela n’est pas une faiblesse ou une erreur, c’est son propre parcours qui ne pouvait pas être que dans cette limite. Or la pensée continue après la métaphysique, parce qu’elle est posée au niveau de la technique. La fin de la métaphysique veut dire qu’il n’est pas possible de penser l’être à travers les philosophies métaphysiques (Aristote, Hegel, …) et la continuité de la pensée veut dire penser l’être au niveau de la technique. Cependant, la technique n’est pas identique à la pensée, elle est sa forme actuelle, d’où la question sur l’essence de la technique moderne. On ne peut plus penser en terme métaphysique, c’est pourquoi la pensée aujourd’hui est une pensée post moderne, Nietzsche en est le fondateur !
TRIBAK AHMED


13.1.08

La voix de Zarathoustra


La mythologie grecque

La philosophie grecque n’est pas venue d’un vide, au contraire, elle s’est formée au sein de la mythologie grecque ; je peux dire même que cette dernière en était le fondement et le départ. En fait la mythologie était le socle sur lequel s’est fondé toute la pensée occidentale. Ce n’est pas par hasard que Nietzsche est parti chercher dans la naissance de la tragédie grecque, ce qui est resté occulte comme interprétation et vision du monde. C’est dans cette pensée que s’est constituée toute la pensée humaine, et qui reste encore imprégnée par les traces de la vision grecque du monde.
Ainsi, on comprend cette attaque que Nietzsche a adressée à Socrate et Platon, mais aussi au christianisme ; les considérant responsable de ce qu’il a appelée la décadence. Que veut dire cela ? Que veut dire la décadence ? On sait que la vision grecque était fondée sur la volonté et
sur la puissance ; la vertu n’était en fait que d’ordre de la puissance ; il faut avoir la « bonne humeur » et la joie dans le cœur, il faut faire la guerre à tout ce qui est contre la vie. La réalité est plate ; le sens est plat ; il faut se dresser debout et droit pour créer la vie, il faut avoir le cœur de Dionysos. Le sens de la vie est plat, il est là devant nous, et il suffit de le refaire, et pour cela il faut vaincre.
Tout cet esprit et cette vision ont été bouleversés par les philosophes ; Socrate était le premier à corrompre cette relation directe avec la nature, avec la réalité. Le christianisme n’était que l’annulation de cette morale noble, qui crée la vie. La civilisation grecque se fondait sur un dualisme claire et net : le soi en face de l’extérieur. Les dieux grecs ne disposaient pas d’une existence isolée des hommes, et n’étaient pas doués d’une supériorité qui tranche catégoriquement avec les hommes. Autrement dit, les grecs avaient un rapport direct avec la réalité. Leur dualisme était banal puisque, tout se fait à partir de la volonté de l’homme. Ce sont les philosophes, à commencer par Socrate et Platon, jusqu’à Hegel, qui ont ridiculisé le statut de l’homme, et qui ont confisqué au dualisme grec, sa nature noble et directe, au profit d’un dualisme où le rapport avec la réalité est devenu idéalisant et producteur d’illusion, et surtout d’idoles et de valeurs de décadence.
Ainsi pour comprendre la philosophie post moderne, dont Nietzsche était le premier fondateur, Il faut d’abord penser à se libérer de l’influence de la philosophie moderne et ses concepts ; voire son esprit. Je pense que cette lecture peut se faire à partir de Nietzsche, qui pour lui, tous les problèmes philosophiques de l’homme, ont commencé, lorsqu’on a corrompu la tragédie grecque, et lorsqu’on a cessé de voir la réalité comme un espace plat et direct, sans avoir besoin d’y voir une profondeur. Comprendre Nietzsche, c’est en même temps, comprendre le faux monnayage de la philosophie de Platon à Hegel. Je pense qu’il faut apprivoiser cette philosophie de marteau, pour pouvoir décrire cette transition inédite dans l’histoire de la philosophie. La lire sans prendre distance de ce que la philosophie a produit depuis Aristote jusqu’à Hegel, c’est resté
à sa marge, sans pouvoir comprendre sa richesse. Je crois que c’est à partir de là, c'est-à-dire de la nature de cette lecture, que provient la confusion souvent engendrée à propos Nietzsche. Il est vrai que son style, et sa façon fragmentaire de s’exprimer, étaient la cause de plusieurs confusions, mais n’est-il pas là aussi, son point fort, puisqu’il a opposé et contrarié l’écriture classique, bien sage et clairvoyante.
Nietzsche avait l’acuité de réaliser que tous les maux de la philosophie, venaient de la mythologie grecque, et son impacte imminent sur l’histoire de la pensée philosophique et de la pensée en général. Les fondements même de la pensée occidentale, se sont faits à partir de la tragédie grecque, où les dieux grecs et les hommes, s’échangeaient les rôles et les puissances ; la force fût la vertu majeur, et c’est de là que vient la généalogie du noble, c'est-à-dire l’homme en tant que prédateur suprême : même Poséidon est entré en conflit avec Ulysse, lorsque ce dernier humilia et défia les dieux criant triomphe. Le christianisme a évolué lui aussi dans ce contexte : Un homme fils de Dieu, chargé de prêcher pour son père !
Toute l’histoire de la pensée est restée imprégnée par cette dualité : Dieu en face de l’homme, la vérité en face de l’erreur, la force en face de la faiblesse, l’immortalité en face de la mortalité. Avec la seule nuance, celle qui a penché cette dualité plus du côté de dieu que de l’homme, ce fût l’effort du christianisme ; et la philosophie a pris le soin de mettre en valeur ce penchant, depuis Platon jusqu’à Hegel. Ce dernier a eu le privilège de provoquer la révolution des philosophes : Marx, kierkegaard, et surtout Nietzsche. Le 18 ème siècle ne pouvait plus supporter cette dualité corrompue : L’absolu gouvernant sur le relatif, Dieu et derrière lui l’église, régnant sur l’homme !
Nietzsche était le premier a renversé les statuts, non pas en déclarant la supériorité du relatif sur l’absolu, mais de changer leur position, en donnant place à l’interprétation, en évoquant la pluralité du sens, en donnant à l’humain sa valeur naturelle. Ceci a été bien expliqué par Gilles Deleuze « La tâche d’aujourd’hui est de produire le sens ». Je pense que Nietzsche a été le premier à renverser cette position, à travers un travail dur et impitoyable. On peut cependant parler de l’avant et l’après Nietzsche. Lui-même le disait avec force ; le christ n’est plus, la naissance de l’homme porte désormais une nouvelle date, celle qui commence par la venue de Dionysos : « Je suis Dionysos contre le crucifié »1. Il faut cesser de mesurer le temps à partir de cette décadente naissance, et à partir de cet instant commence le dernier verdict de Nietzsche2.

La tragédie grecque

Il n’existe pas un peuple qui était aussi proche de la terre, c'est-à-dire de soi même, comme l’était le peuple grec. Ce peuple avait cette capacité extraordinaire, comme le disait Nietzsche, de voir les choses et les phénomènes en tant que plat, en tant que sens direct, qu’il faut changer, battre et combattre. Cela suppose de ne croire qu’à la puissance, qu’à la volonté de faire face au danger et le vaincre, de faire face à la mort ; c’est pourquoi, les vertus majeurs étaient pour eux, la guerre, le courage, le trophée ….il n ’y a pas de place pour les faibles ; la pitié, la chasteté, toutes ces valeurs sont le symptôme d’une maladie ; la maladie professée par Platon et le christianisme : Ainsi, il faut s’armer d’un marteau pour décamoufler le son muet de cette maladie ; un diapason pour dénicher les signes de cette terrible maladie, qui consiste à confisquer à l’homme, ce qui lui est propre et sain : sa volonté de puissance, son amour pour la terre, et sa joie naturelle, son usage de la vie : « L’optimisme est un signe de superficialité, le pessimisme est un signe de décadence, mais l’optimisme tragique est l’état de l’homme qui sait que la vie est une guerre, un conflit, des contradictions, et sent la fierté en sachant cela » ( Nietzsche ).
La dualité grecque était donc de se positionner comme guerrier devant l’autre : Les dieux, les fils des dieux, la nature en tant que défi …c’est une dualité qui ne laisse pas de place transcendante ou supérieur à cet autre vis-à-vis de soi, il n’y a pas lieu à la soumission ou à la résignation, mais plutôt à l’action et à la puissance ; c’est une dualité qui ne divise pas la vérité entre celle qui est absolue, et celle qui est illusion. Cette dualité fût corrompue par Platon et ses successeurs, en exterminant d’elle la puissance, et en y mettant à sa place, le fatalisme de l’homme subitement géré par Dieu et ses lieutenants sur terre.
La civilisation islamique avait compris cela, c’est pourquoi elle a parlé d’un Dieu en rupture quasi-totale avec l’homme et la réalité, un Dieu absolument transcendant, donc absolument souverain et régnant sur tout ; cette civilisation a fait de Dieu le seul créateur, le seul gouverneur, face un homme désarmé de tout : Puissance, savoir …etc.

Le Platonisme

Socrate avait cette tâche mortelle d’affronter le scepticisme qui a entraîné l’explosion du sens, et qui a soulevé la souveraineté du sens ; l’expérience des sceptiques était unique en ce qu’elle a été contre toute transcendance du sens ; ainsi, il a préparé le chemin pour Platon, avec qui, la dualité métaphysique a pris une forme tranchante et déterminée : Il y a d’une part la vérité ou le monde vrai, et d’autre part l’illusion, cependant Dieu n’est plus en contact avec ce qui est humain et mondain, cette exception est réservée au christ, le seul fils de Dieu. Presque tous les philosophes ont accordée cette valeur. La dualité a donc pris une autre tournure, elle est devenue la vérité absolue face à la vérité dérisoire.
Platon est le fondateur de ce dualisme, qui va régner sur et dans la philosophie jusqu’à Hegel. La trace grecque est là, c’est la dualité elle-même, mais avec une autre portée métaphysique où l’homme s’est réduit au rien ! Tout ce qui est humain est devenu symbole de l’imparfait, de la honte, de l’humble, ou pour dire plus clair, symbole du Mal, en échange du Bien prêché par la religion, et par toutes les théories métaphysiques et morales. L’homme est devenu objet de jugement, de punition divine, un pouvoir anticipé sur terre par la religion et les religieux. De là, naissance de la dualité : Mal et Bien, et d’un système de valeurs basé sur la punition et l’interdiction, d’où aussi, la naissance de la notion du péché et surtout la naissance d’une créature, dont la seule tâche est de rendre malheureuse et pénible, la vie des hommes. L’homme est assujetti à un ordre touchant et bloquant sa volonté en temps qu’être, capable de changer, de créer, d’agir et de faire de son existence une jouissance, une joie. Les sept péchés capitaux forment l’extrême de cette morale, qui inculque aux êtres humains la peur, la frustration, les remords, le renoncement au plaisir, qui sème l’angoisse et cultive le ressentiment. Nous sommes ici, loin de l’homme tragique, croyant à sa force, et son être créatif. Les sept péchés capitaux se trouvent implicitement dans toutes les religions, avec d’autres formules, et d’autres configurations, toujours aussi sévères et répressives. L’homme a des instincts, et il doit être puni pour ça ! Ainsi réagi toute religion. Toute religion est essentiellement contre l’affect, le désir, les pulsions, c'est-à-dire, contre l’humain, et c’est pour cette raison que la morale religieuse est « Humaine, trop humaine ! ».
Au niveau du savoir, l’homme est incapable, par sa raison handicapée, de déchiffrer les sens de la nature, c’est une compétence exclusive à Dieu et ses prêcheurs. Platon a bien distribué les rôles : L’Etat doit être dirigé par le philosophe et sa clique, les soldats pour l’ordre, les citoyens pour la vie quotidienne tracée d’en haut. Ce rôle fût confisqué aussi par les gérants des instituts religieux. L’homme est touché dans ses intimités les plus profondes, et son plaisir est quantifié. La philosophie et la religion marchent conjointement, avec une complicité très étroite, sous le règne du politique, qui s’est procuré les pouvoirs de faire basculer la balance, en faveur de l’un au détriment de l’autre. La politique a toujours été partie intégrante dans cet équilibre. L’histoire des valeurs ne serait-elle pas une histoire politique ?
Mais jusqu’à quel point peut on dire que la philosophie jouait habilement avec ces autres ordres, pour faire apparaître ce que l’on ne veut pas apparaître ? L’histoire et la biographie des philosophes témoignent de cela. Je pense que M. Foucault a très bien montré cela, surtout dans son ouvrage « L’ordre du discours » Le discours, tout discours est soumis à des règles très efficaces et vigilantes, définissant et marquant le vrai du faux : on ne peut pas dire tout et n’importe où ! Le discours est un objet de pouvoir, il est aussi désir de pouvoir.

La naissance de la métaphysique

Je parle bien sûr de la métaphysique quand elle a pris sa forme systématique, cela est arrivé avec Platon. Ce dernier a donné à la philosophie ses trois fameux axes : L’Ontologie – La gnoséologie – L’axiologie. La réalité a donc trois niveaux qu’il faut étudier selon ces trois catégories connues chez l’homme : la raison, la colère, l’amour, c'est-à-dire « L’usage des plaisirs » Mais la structure finale où mène cette métaphysique est la suivante : Il y a deux existences, l’une est réelle représentant l’absolu, l’autre est illusoire représentant l’humain et le naturel. Platon a pris soin de formuler l’exemple de la caverne où se reflète l’ombre de ce qui existe ailleurs. Or, ce qui existe ailleurs, c’est la réalité absolue que seuls les philosophes sont capables de se rappeler et de rejoindre ; dedans c’est la fiction que la masse voient, croyant par erreur que c’est la réalité, alors qu’elle ne l’est pas : Voilà que nous sommes devant une dualité tranchante et déterminée ; et cela fût adoptée par tous les autres ordres du savoir : religions, sciences, littératures, politique … La philosophie a sombré dans cette orientation, en prenant chaque fois des différentes formules. Que ce soit avec Aristote, ou ceux qui sont venus après, notamment Kant et Hegel, il s’agit là, de la même structure : Le vrai en face du faux, l’absolu en face du dérisoire : La métaphysique. Les efforts se sont multipliés, pour que cette métaphysique se gonfle chez Hegel.
Je crois, avec assez de certitude, que le christianisme n’a fait qu’une volerie d’une idée déjà exprimée chez les grecs ; il s’agit, de celle qui consiste à dire que Dieu a couché avec une femme ( humaine) et ça a donné un demi dieu, comme Achille et autres. C’est là exactement où Nietzsche a trouvé les maux de la philosophie, et de toute la pensée occidentale ! Voila que Dieu a fécondé une femme qui a donné Jésus, et pour Hegel, c’est l’idée abstraite qui s’est transformée dans la nature (l’anti-thèse) pour redonner la pensée absolue (Jésus en religion)
lui en philosophie, son Roi en politique ! Hegel a appelé ça : « La raison gouverne l’Histoire ».
Il a fallu donc, attendre cette arrogance pour provoquer la philosophie ; et pour mettre toute cette métaphysique en cause : « Riens philosophiques » voilà ce que répond Kierkegaard ; ou alors la nécessité de mettre Hegel sur pied, comme l’a dit Marx. Mais Nietzsche est allé plus loin, il est allé vers la tragédie grecque ; il y a trouvé beaucoup de richesse, à partir desquelles les détournements se sont produits.y a-t-il un germe chez Socrate ? Il a combattu la transcendance du sens, pour y mettre à la place le sujet savant : Connais toi, toi-même ! Cela a servi à Platon pour maîtriser le sens dans une seule main, la sienne, en pensant l’existence et en rejoignant avec sa capacité de se rappeler, le vrai monde où gîte la réalité !

Mythos et logos

On a pris l’habitude d’admettre, avec évidence, ce partage entre mythos et logos, c'est-à-dire la thèse qui soutient, que le mythos a un jour cessé d’exister, et à sa place, le logos a occupé la pensée ; or les travaux de l’anthropologie et les disciplines proches, nous ont montré des faits contradictoires bien considérables. Mais comment peut on comprendre que dans notre troisième millénaire, des théories mythiques persistent encore, à continuer dans différents domaines de la pensée.
Un homme se lève un matin, et déclare à toute l’humanité que dieu en personne, l’a chargé de purifier notre monde des forces du Mal, et il entraîne toute la planète vers des conflits terriblement meurtriers, où la chaire humaine est devenue proie facile à toutes les sortes d’armes explosives, scientifiquement fabriquées jusqu’à en devenir des armes intelligentes ? En face de celui là, un autre homme prétend lui aussi, être un soldat préalablement martyre, et prend la tâche lui aussi, sous l’ordre de dieu, de demander à toute l’humanité de le suivre dans son combat contre le mal absolu. Une face à face terriblement dressée pour mettre tout le monde au feu. Un absolu contre un autre absolu, et derrière les deux, se sont mêlées les théologies les plus anciennes. Ce serait quoi le mythos, si ce n’est pas cette croyance à la chose et son contraire, les unifiant et les rendant Un. L’armement destructif fait de ces hommes des avatars de Zeus et ses collègues. Le mythos devient cette mise de l’autre dans un dehors absolu, et devient aussi ce rapport direct et exclusif avec dieu ! Mais ce mythos n’a rien à voir avec celui des grecs.
Le mythos est de croire à la chose et son contraire, c’est de croire aussi qu’entre la vérité et son contraire, il y a un médium qui n’est ni dieu, ni homme, mais une troisième force que l’on peut s’approprier pour agir et changer les choses ! Notre monde contemporain est considérablement envahi par cette conviction et ces croyances. Des hommes d’état, comme aussi des gens ordinaires, consomment fortement cette croyance et cette pratique, nous avons même des spécialistes en la matière, qui emploient habilement les dernières technologies (Internet, communication …) pour servir dans ce marché terriblement croissant
partout dans le monde. Aussi des pratiques médicales reposant sur l’invitation du médium pour guérir les maladies de toutes sortes, même le cancer. Les marabouts, les temples, les lieux de voyance, sont devenus de plus en plus régnant.
Le mythos ne repose pas sur le dualisme comme il est le cas dans la métaphysique fondée par Platon ; il repose plutôt sur l’intermédiaire qui n’est ni Dieu, ni Homme, mais des puissances surnaturelles inidentifiables, par contre maîtrisable, soit pour faire du bien, soit pour faire du mal.Ces forces ont pris différentes appellations : Fantômes, diables, forces du mal, médium … Etc. et pour dominer ces forces, d’autres moyens sont imaginés par l’homme : Le talisman, la croix, la lecture du texte divin, les rituels de trans…etc, l’homme contemporain a intégré même les moyens les plus développés dans le domaine des télécommunications.Les « spécialistes du tarot et de voyance » ont occupé une très bonne place dans le monde de l’Internet et de la publicité.
Le mythos a donc toujours existé et existe toujours à côté du logos, il n’a jamais cessé de faire partie de la pensé humaine ; l’histoire des sciences n’est elle pas l’histoire de ses erreurs comme le disait G.Bachelard ; et ce qui est une connaissance actuelle, n’est qu’une illusion après. Mais cette illusion ne constitue pas dans beaucoup de cas, un mythos lorsqu’une théorie scientifique est non pas seulement dépassée, mais dévoilée comme une banalité et pure illusion ? Il faut donc admettre que le mythos est une interprétation de la réalité comme le logos et les autres systèmes métaphysiques. C’est ce que Nietzsche a révélé dans son parcours philosophique, et a voulu faire entendre avec acharnement, de là, son retour à la tragédie grecque. Son projet a été pris au sérieux par ceux qu’il a appelé les philosophes du danger.Ce fût Heidegger, Derrida, Foucault, Deleuze … Le savoir humain est une multitude d’interprétations du monde ; parmi les grands apports de Nietzsche, est que le sens est
pluriel, quoiqu’on doive distinguer toujours le sens fort du sens faible, c'est-à-dire l’interprétation qui s’impose dans un temps et espace donné : « On ne saurait mieux marquer la différence entre la libre pensée d’hier et celle d’aujourd’hui qu’en se rappelant cette phrase qu’il a fallu toute l’intrépidité du siècle passé pour comprendre et énoncer, et qui pourtant, mesurée au niveau actuel de la connaissance, retombe au rang de la naïveté invenlontaire, _ je veux dire la phrase de voltaire : » croyez moi, mon ami, l’erreur aussi a son mérite ».Nietzsche.

Le rationalisme

Aristote a fondé la logique pour mettre les premières bornes de la pensée, mais il a aussi fondé la rhétorique ; curieusement, on ne s’est que peut intéressé à cela ! Pourquoi sa logique a-t-elle pris beaucoup d’importance, alors que sa rhétorique n’a pas incité autant à la réflexion ?
L’Organon a marqué les premiers
fondements d’un rationalisme primordial, il a montré les règles que toute réflexion doive suivre, pour être conforme à la raison ; et même les parties inaccessibles sont quantifiées, il a consacré pour ça, la logique fallacieuse. Et pourtant, tout un espace de réflexion reste à définir, c’est là, l’importance de la rhétorique ; car la logique formelle peut bien traiter une phrase lorsqu’elle est propositionnelle, mais lorsqu’elle ne l’est pas, la logique formelle s’arrête. Quant une phrase est exclamative ou interrogative, elle n’est pas objet de la logique, c’est la rhétorique qui s’en occupe ; pour cette raison, elle est le germe de la linguistique moderne.
Mais ce qui m’intéresse ici, c’est que notre manière de réfléchir, et les règles qui font marcher cella, ne sont pas forcément formelles, elles sont plutôt plurielles et vont entre le formel et l’informel ; il en résulte que la réalité est toujours inachevée, et que le sens est molle .Une réalité peut bien être intelligible, mais pas forcément rationnelle .Ceci n’a pas été prise en bonne considération par Descartes. Il a fait de son mieux pour mettre une taxinomie de la pensée pour y mettre de l’ordre, seulement tout est bâti sur l’évidence, et c’est bien de là que commence les problèmes, c'est-à-dire, que Descartes n’a pas réussi à faire une table totalement rase. Chez Descartes, il faut d’abord accepter qu’il n y a de mal génie, et qu’il y a bien une évidence insoutenable pour pouvoir admettre son rationalisme. Encore plus, il faut croire à sa vision où il a reçu une mystérieuse décision et certitude, que c’est à lui de mettre de l’ordre dans la raison. La métaphysique avec sa dualité reste dominante et imposée dans sa philosophie.On comprend bien pourquoi Lacan a trouvé beaucoup de facilité pour détruire ce cogito ; en fait pour Descartes, il est impensable qu’il ait un inconscient, or comment un « je » pluriel, plein de contradictions et certainement peu vigilant, peut-il assurer son évidence ? Et si on prend le « mal génie » comme s’il était la farce de l’inconscient : C’est tout le rationalisme cartésien qui s’effondre !
Je pense qu’à partir de là, Kant a fondé ses trois critiques, encore une table rase discrète et sérieusement demandée pour sauver l’embrouille cartésienne. Le but de Kant était de renforcer ce rationalisme et de traiter ses trous, en formalisant les trois axes de la
métaphysique. Le savoir est encore soumis à la transcendance du sens. Un sens tellement formel qu’il est devenu indiscutable ; mais Kant devait faire face à un problème très difficile à surmonter : Comment faire avec la notion de temps et de l’espace ? Pire encore, comment faire avec les notions telles que : Liberté, âme, dieu, morale….etc, pour les premières il a trouvé refuge chez le concept de l’a priori, mais cela ne pouvait pas tenir longtemps avec l’évolution rapide des sciences physiques : Einstein ! Pour les secondes il a trouvé l’idée de l’impératif, cela aussi n’a pas pu résister à l’évolution des sciences humaines : La sociologie, la psychologie, la politique. Mais comment peut-on admettre l’idée de l’art pour l’art, ou le devoir pour le devoir ? On comprend là pourquoi Nietzsche lui adressé une place bien privilégiée dans sa sévère critique. C’est lui, l’excellent prêtre qui est venu sauver la morale, en la rendant encore plus abstraite et plus arbitraire. La morale pourrait elle s’imposer en tant qu’impératif ? Kant se demandait pourquoi l’homme a-t-il besoin de la morale ; mais Nietzsche se demandait pourquoi faut-il que l’homme ait besoin de croire à cette morale ? En valait-il la peine ? si ce n’est pas une manière cynique de prêcher la décadence et la mauvaise humeur. Et comment peut on accepter l’idée d’un Noumène qu’on ne peut pas comprendre, en échange d’un Phénomène apparent et accessible au savoir ? Kant n’a pas pu dépasser la philosophie cartésienne ! C’est à dire sa métaphysique.
La symphonie, médiative et universelle, de Hegel, commence à partir d’une dimension tout à fait nouvelle, que les autres n’ont pas pu remarquer : L’Histoire. Il est vrai que Kant avait implicitement posé cette question, en se demandant ce qu’est le « Présent », ce qu’est « l’actualité » mais celle-ci, n’a pas été clairement traitée par lui ; ni sa raison pure, ni sa raison critique ne pouvait faire usage à l’histoire. Par contre, Hegel a commencé de là exactement, et c’est à lui que revient la philosophie de l’Histoire. La pensée de Hegel n’est pas facile à réfuter, parce que là où on croit l’avoir bien chassée, on la trouve défiante et persistante. Cette force revient exactement à son rapport confus avec la dialectique d’Héraclite. Hegel a donc donné le dernier souffle à la métaphysique en y introduisant cet aspect révolutionnaire qu’offre l’histoire.
Pour Hegel : « La raison gouverne l’histoire » ainsi, a-t-il pu reporter la fin de la métaphysique, cela veut dire, qu’il n’est plus question de voir les choses en état
stationnaire et dogmatique, mais en mouvement, en dialectique, que nul ne peut arrêter ; cependant ce qui est Noumène finit par devenir Phénomène, ainsi la connaissance est infinie et surtout ascendante, la vérité n’est plus inaccessible, elle est plutôt un devenir qui ne cesse de se révéler. Nous sommes devant une philosophie bien révolutionnaire et trop rassurante ! Mais où est le problème alors !? Il est en cela :

a- La squelette de toute la philosophie de Hegel est faite à partir du christianisme ; la parole de Dieu semée dans l’utérus de la vierge ; cela donne un homme qui représente la connaissance de Dieu, connaissance qui sera prêchée et répandue au sein de l’espèce humaine pour lui monter le savoir divin. L’histoire des hommes, de ce coté, ne sera que le passage déterminé de l’ignorance vers la connaissance. La philosophie de Hegel est l’aspect philosophique du christianisme. La trilogie prend la forme de Dieu, femme, homme, c'est-à-dire thèse, anti-thèse, synthèse. Parce que cet homme réalise la présence de Dieu sur terre. Chez les grecs : Pélée, Thétis et Achille, sauf que pour ceux-là, L’homme n y représentait pas Dieu sur terre, plutôt, il y représentait soi-même.

b- L’absolu est le pilier de sa pensée, un absolu vers quoi aspire toute vie, face à un relatif humble et méprisable. L’absolu est une fin vers laquelle va le sens de l’histoire. L’individu ne compte rien dans ce processus, même les grands hommes, ne sont que des outils que l’histoire utilise pour réaliser l’absolu. Lorsque les hommes ambitieux croient qu’ils réalisent leurs fins, ils ne font que réaliser la fin de l’histoire dont la ruse cache le secret divin d’un Dieu courant contre le temps.

c- Le finalisme est l’élément primordial qui fait bouger l’histoire. C'est-à-dire qu’il y a là une fin incomprise que l’histoire veut réaliser. Cette fin est bien la volonté de Dieu sur terre, qui s’accomplit sans cesse.

d- Le progrès est donc une destiné de l’existence, que rien ne peut empêcher ; les guerres, les conflits sanguinaires, les grands changements sont nécessaires pour cette réalisation de l’absolu, et l’homme n’y est pour rien, sauf pour mettre en application cette destiné avec ce qu’elle peut porter de malheur ou de bonheur, peu importe.

e- Mais cet absolu s’est réalisé en religion avec le christianisme, en politique avec le règne de son Roi, en philosophie avec lui. C’est vers tout ça que tendait sa philosophie pour s’arrêter.
Ainsi, se termine la révolution de Hegel, et nous pourrons trouver dans ces propos, l’introduction qui permettra une réaction violente, plutôt, un changement radical dans la philosophie : l’effondrement de la métaphysique.

L’effondrement de la métaphysique

Cette inflation de la raison, chez Hegel, a provoqué une critique sévère chez les philosophes, non pas seulement ceux qui étaient contre l’idée de Dieu, le centre privilégié de toute métaphysique, mais aussi chez ceux qui étaient contre toutes valeurs qui l’accompagnent : L’absolu , la morale, le pouvoir, la connaissance, ... ect, sans doute, l’évolution de la technique, l' apparition de l’énergie, l’évolution du commerce…ont été un facteur très déterminant dans ce changement, mais la pensée a sa propre raison, et ses propres lois, qui la font changer vers un tel ou tel sens, c’est ce que Louis Althusser appelait la pratique théorique. C’est une philosophie aigue et très critique, qui a fait naissance, au détriment de toutes les autres, et qui a marqué le modernisme ; une philosophie post moderne puisqu’elle est née au détriment du modernisme ; c’est une philosophie marquée par le même souci, celui de renverser la dualité. Nietzsche en était le premier fondateur, c'est-à-dire, le fondateur de ce qu’on peut appeler un prolégomènes à la philosophie post-moderniste. Je peux dire qu’à partir de là, commence l’après Nietzsche ; mais, c’est quoi cet après Nietzsche ? : « La croyance à la vérité commence avec le doute au sujet de toutes les vérités auxquelles on croyait jusqu’alors » Nietzsche. En fait, l’après Nietzsche, c’est à la fois, la fin du christianisme et des philosophies de sujet, celle de Hegel en dernière instance. L’après Nietzsche est surtout la fin du modernisme.

Dionysos contre le crucifié

Hegel avait donc saturé la métaphysique, plus rien ne peut être ajouté ; Kierkegaard a trouvé que Hegel avait parlé de tout sauf de l’homme, de son intérieur, est-ce là, le début de la pensée existentialiste ? Je crois que oui. Marx s’est dirigé vers un autre chemin : La lutte des classes. Il a bien apprécié la dialectique, mais a fermement refusé que cette dialectique soit animée par une raison intelligente, qui se dirige vers un but suprême, ambigu et universel. La réponse de Marx était dans l’économie et les conditions humaines ; ce qui fait bouger l’histoire, c’est cette contradiction qui produit la plus value, entraînant la richesse des uns et la misère des autres ; donc, une lutte interminable qui fait bouger l’histoire. Il faut construire la structure qui unifiera les exploités pour changer l’histoire vers une autre étape qui serait le communisme. La praxis au lieu de rester figé dans le monde des idées.
Mais la plus forte réplique à Hegel fût la philosophie de Nietzsche qui en a aboli l’essentiel :

a- Le christianisme (et avec lui les religions) qui constitue un blocage et une destruction de tout ce qui est humain, surtout sa volonté. L’Antéchrist n’est pas le contraire de christ, mais son dépassement, son renversement en tant que contre nature. Nietzsche était tout à fait conscient de sa tache, qu’il était un homme posthume, car en rejetant le politique, en exigeant de nouveaux yeux et oreilles, en allant chercher dans le labyrinthe pour y trouver et détruire avec mépris ce que l’humanité avait créée contre elle-même, il a été obligé de parler à des générations autres que la sienne, des générations capable de supporter la mort de Dieu et le crépuscule des idoles.

b- L’absolu n’est qu’une idée, il est même une mauvaise idée, qui entrave la volonté de l’homme et sa puissance. Mais tout absolu devient relatif devant cette volonté acharnée chez l’homme, à se dépasser vers le meilleur, même si cela exige de faire face à la mort (Là on trouve l’esprit grecque).

c- Nul finalisme n’existe en dehors de la volonté de puissance des hommes ; le diable lui-même en personne l’a dit à Zara : Dieu est mort à cause de sa pitié pour les hommes. L’homme doit en tirer profit pour se méfier de la pitié !

d- Le progrès ! Ne serait-il pas une illusion ? L’homme du 19 ème siècle ne serait-il pas médiocre dans sa qualité par rapport à celui du moyen âge ? Or la généalogie nous offre une autre façon de voir notre évolution, cette dernière ne se dirige pas vers le progrès, elle se dirige et c’est tout, aveuglément et sans fin.

e- Il est difficile d’admettre que la raison s’est finalement réalisée avec Hegel, ce sage parmi les sages, n’a fait que produire des valeurs, les embellir et les mètres dans le navire qui sera poussé par le fleuve, c'est-à-dire, la masse humaine, qui coure avec sa force colossale.

f- Que veut dire donc l’effondrement de la métaphysique ? Ce n’est pas l’abolissement de la dualité, mais son renversement. La réalité n’est pas en haut, elle est plutôt en bas, sur terre, entre les mains des hommes, et c’est à eux que revient la création. L’illusion est en haut où il n’y a que des interprétations inutiles ! Le monde des idéaux est l’illusion, celui de la terre est la vérité.

Nietzsche a attaqué toute l’histoire de cette dualité, de Platon à Hegel ; il a adressé ses coups de marteau à tous les sages (philosophes) qui ont trouvé la joie d’installer les fausses valeurs et de leurs donner des noms, et de la respectabilité habile et hypocrite, pour semer l’impuissance et le doute chez les masses, et c’est là, leur volonté de puissance. Car la joie et la jouissance de ces sages passent par leur savoir et leur créativité des concepts qui maintiennent l’ordre, et garantissent la soumission (De là, la notion de Pouvoir développée par M .Foucault), mais : « Le christianisme donna du poison à Eros : il n’en mourut pas, mais dégénéra en vice ».F. Nietzsche. L’après Nietzsche est cette mutation tranchante dans la philosophie, où il est dorénavant, question d’un seul monde plat et directe, comme l’était celui des grecs ; il est question de créer le valeurs offensives et productives de l’homme et pour l’homme. Nietzsche insistait sur le fait que dieu est mort et demeure mort. Autrement dit, l’homme doit rester vigilant quand à sa grande découverte, et quant à sa seule responsabilité dans la vie ; l’homme est orphelin et sans secours ; il a la responsabilité d’être le berger de l’être dira plus tard Heidegger.

Le philosophe du Danger

Pourquoi Nietzsche a choisi de se présenter dans cette face à face « Je suis Dionysos contre le crucifié » ? Je trouve que c’est le grand titre de toutes ses œuvres. Une dénonciation et un refus de cette morale de soumission, de cet anéantissement de soi ; en échange d’une morale, non pas seulement de puissance, mais de dépassement de soi. Le Dionysiaque emporté par la joie face au crucifié battu par l’austérité de ses vertus ; nous les immoralistes, disait Nietzsche, pour mettre l’accent sur cette confrontation. Mais il n’a pas oublié de s’intéresser à ce Dieu qui s’est déclaré le seul Dieu, en affirmant qu’il n’y a de Dieu que lui ! Les Dieux grecs ont éclaté de rire en entendant ça ; mais en fait, remarqua Nietzsche, ce dieu est athée puisqu’il a nié tous les autres.
« Ô grand astre quel serait ton bonheur si tu n’as pas ceux que tu éclaires » Cet appel dionysiaque à l’homme, est
une incitation à la joie : Si l’homme a des instincts, des désirs, quel serait sa raison, s’il ne réalise pas ce pourquoi il existe ? Le crucifié l’appelle à s’interdire tout ce qui est nature en lui. Or, le surhomme n’est que l’homme avisé, capable de choisir la vision de Dionysos et de dépasser celle du crucifié. L’éternel retour n’est que cette nature infinie. La volonté de puissance n’est que cette résistance contre la peur, le ressentiment, l’angoisse d’être crucifié, c’est-à-dire d’être puni. L’homme avisé détruit les idoles. Le désir sexuel pousse l’homme par la passion à agir, alors il s’agit, peu importe les manières et les risques, d’aboutir à la jouissance qui, une fois acquise, le désir sexuel reprend : Voilà ce qu’est l’éternel retour. Cependant, la morale du crucifié reste une contre nature, et le surhomme crée une autre éthique, une autre vision de la vie, de l’art, de soi ... etc.
En fait pourquoi Nietzsche employait à plusieurs reprises cette expression : Nous les psychologues ? Sans doute, ce sont ces malades de pitié, de chasteté, de dénouement et dévouement, de bonté et de toutes les qualités humaines, trop humaines ! Ne faut-il pas soigner ces malades ? Or, dans les yeux doux de la pitié et de l’amour guette aussi la volonté de puissance, c’est-à-dire, la volonté d’investir l’autre et lui confisquer la puissance. Les sept péchés capitaux ne sont –ils pas, un des spectres de ce qu’est la volonté de puissance ? Je crois que la volonté de puissance est bien cette richesse grandiose dans l’homme, qui le pousse à se rassasier de la vie, même si cela comporte un danger mortel, un risque de mourir. Mais il ne se rassasie pas ; plus il en réalise, plus il en veut ; affirmant l’éternel retour.
Je pense aussi que l’éternel retour est cette volonté qui ne peut que continuer, se perpétuer, se faire et se refaire infiniment, mais sous différentes formes, en employant tous les moyens, anciens et nouveaux, pour s’affirmer et s’imposer. La guerre est une simple idée en tête, mais elle est aussi ce phénomène qui ne cessera jamais de retourner éternellement sous différentes formes, avec de nouvelles valeurs. Où est donc la répétition ? Pour changer l’exemple de dé souvent abordé pour parler de l’éternel retour, je dirai que lorsque je décide de rentrer au glaive, je fais face à la mort, et je parie avec ma vie pour le trophée, soit je meurs, soit je gagne, ainsi le veut ma volonté (La volonté de puissance), et ça continue, avec moi ou sans moi (L’éternel retour). A l’aube de l’humanité, les nobles étaient ces hommes toujours prêts à parier avec leurs vies, et ils ont mérité leurs statuts. La généalogie des nobles nous mène vers des guerriers tueurs libérés de pitié et de valeurs pareilles. Ainsi va la vie des gens au quotidien, et pendant toutes les époques ! Que le surhomme vienne pour affirmer ses droits sans avoir recours à la morale des sages. Une autre morale cultivée à la base de la volonté de puissance, du respect de soi, sublimée vers un homme au-delà le bien et le mal. N’y a-t-il pas d’indice à cela dans notre troisième millénaire ? Napoléon disait déjà : « Dieu est avec ceux qui ont plus de canons », voilà que la volonté de l’homme transforme Dieu en puissance réelle, en canons qui produisent l’effet sur terre et créent la victoire. L’après Nietzsche c’est ce pas géant dans le chemin qui mène au-delà bien et mal, parce qu’il est temps de parler droit au but, de parler sans mensonges, sachant que les valeurs morales sont nos propres créations, et comme nous les avons créées, nous pourrons les détruire pour en créer d’autres, car se taire est un poison qui nous tuera, et le silence dégénérera notre espèce ; alors que toutes les vers de la terre ont donné de leurs mieux, nous devons dépasser ce qui est singe en nous, pour mériter notre souveraineté. Nietzsche disait : « Qu’est ce qui est bon ? Tout ce qui exalte en l’homme le sentiment de puissance, la volonté de puissance, la puissance même. Qu’est ce qui est mauvais ? Tout ce qui vient de la faiblesse »

Le dépassement de la métaphysique

Notre monde n’est plus un simulacre, il est notre réalité que nous sommes capables de changer dans une lutte interminable. Nietzsche est l’auteur de ce renversement ; une nouvelle époque vient de commencer alors ; et des philosophes, que Nietzsche voyait venir, les philosophes du danger, vont continuer ce chemin grave, ce Holzweg. Sur un autre niveau, les sciences évoluent sans cesse, sur tous les domaines, y compris le domaine humain, ouvrant d’autres perspectives, et réalisant d’autres découvertes qui feront disparaître tout ce qui est resté de la métaphysique et ses ramifications. L’Ontologie n’a plus donc de place, et les valeurs de la peur ont cédé leurs places aux valeurs du gai savoir et de l’Antéchrist. Maintenant, nous assistons au deuil de la métaphysique !
Heidegger a tenté une confrontation philosophique très dangereuse : Reprendre la métaphysique pour en finir ; reprendre le thème fondamental de l’Ontologie pour le serrer. Pourquoi y a-t-il l’étant et non pas plutôt rien ? Qu’est ce que l’être ? Qu’est ce que l’étant ? Qu’est ce que penser ? Dans ce chemin épineux, Heidegger s’est montré très vigilant, minutieux, très soucieux de mettre la main sur le noyau dur de la métaphysique : L’être et l’étant en rapport avec le temps. Je crois qu’il a fini, par trouver cela : La question de l’être est une fausse question, sinon, une question inaccessible ou même banale ; L’essence de l’être ne peut pas se dévoiler, puisqu’on se dévoilant, elle n’est plus de l’ordre de l’essence, ni de l’ordre de l’être, mais de l’étant. L’être c’est ce qui est là. Ça pourrait paraître, rien et futile comme conclusion, mais « Dans la forêt, il y a des chemins qui, le plus souvent encombrés de broussailles, s’arrêtent soudain dans le non frayé. On les appelle holzwege. Chacun suit son propre chemin, mais dans la même forêt. Souvent, il semble que l’un ressemble à l’autre. Mais ce n’est qu’une apparence. Bûcherons et forestiers s’y connaissent en chemins. Ils savent ce que veut dire : être sur un Holzweg, sur un chemin qui ne mène nulle part » M. Heidegger. Certains, se sont précipités pour dire que c’est là une non possibilité de comprendre ! C’est une très mauvaise lecture de Heidegger, mais voyons un peu : cette forêt n’est pas une impasse, un néant, puisque bûcherons et forestiers s’y connaissent, ainsi pour la pensée, ceux qui s’y connaissent ont la facilité d’aller loin, très loin même dans le chemin de la pensée. Dans cette voie rude, déserte, tortueuse, des philosophes graves, ont continué leur chemin pour amplifier et investir le nouveau monde de questionnements que Nietzsche a ouvert.

TRIBAK AHMED

11.11.07

La part métaphysique de Marx

Hegel avait sans doute poussé la métaphysique jusqu’à son extrême, c’est ce qui explique les violentes critiques qu’il a subies, et ce, de presque tous les philosophes qui l’ont précédé ; notamment Kierkegaard et Schopenhauer ; Marx aussi était très critique vis-à-vis de lui. Seulement la critique de ce dernier, a pris un tournent particulier, celui de transformer la philosophie en praxis pour libérer l’homme.

Le marxisme s’est construit au sein de ce dialogue entre la philosophie de Hegel et celle de Feuerbach, entre une dialectique qui manque de matérialisme et un matérialisme qui manque de dialectique. Dans les deux philosophies, le grand absent est l’homme. Mais il s’agit d’un débat au sein de la culture allemande qui subissait un très grand changement. Alors qu’en France, l’évolution était aussi bien au niveau politique que philosophique. La France vivait un événement quasi important : la révolution. Les allemands préféraient le changement d’idée dans l’esprit de réformisme ; Hegel pensait que la tête allemande a beaucoup de choses à faire dedans et garder calme son chapeau. Or ce qui était en question c’est le développement de l’homme lui-même et la reconnaissance de la raison.

Selon Kant, la philosophie est l’art de l’usage de la raison pour des objectifs réels et absolus, la tâche des hommes est de savoir comment prendre la meilleur place dans le monde et de faire le bon usage de la raison qui a pour principale fonction celle de guider l’homme en l’éduquant, à savoir progresser et voir claire, voir la lumière ! La raison cependant est la plus importante des découvertes de l’homme. Hegel trouvait aussi, que la meilleure chose qui a pu arriver à l’humanité depuis l’existence du monde, c’est lorsque l’homme a compris que son existence est dans sa tête, c'est-à-dire, dans la pensée qui l’a aidé à construire la réalité, c’était l’aube gracieuse de la raison précieuse. Cette idée est sans doute l’une de l’impact des lumières, où l’idée de la liberté est majeure. Selon lui, l’expérience politique de la révolution Française devait s’accompagner de l’esprit allemand. Or cet esprit, selon Hegel, doit rester lié à la religion. Feuerbach voyait bien que l’Allemagne théorique avait pour base, la religion et la politique. Et puisque la politique était toujours un monde épineux, il a adressé et focalisé sa pensée critique sur la religion, dépassant le compromis de Hegel.

Strauss, qui lui aussi a critiqué Hegel, avait indiqué l’importance de la critique historique de la religion. Feuerbach voulait enseigner le sensibilisme et critiquer tout ce qui est religieux comme étant fallacieux et trompant la conscience des hommes. Dieu est une illusion dont-il faut se débarrasser pour mettre la souveraineté de l’homme et nettoyer sa conscience. De ce fait, la politique devient la religion réelle des hommes.

Feuerbach liera l’aliénation à la religion et ne la considèrera pas nécessaire, comme chez Hegel, au contraire, il la considèrera comme illusion qui éloigne l’homme de son essence réelle ; l’homme aliéné voit dans son humanité aliénée un dieu, et c’est de là, l’importance que donne Marx à Feuerbach ; mieux encore, il se basera sur les thèses de ce dernier pour passer à un niveau et un horizon plus vaste. Marx a donc dépassé non pas seulement Strauss, mais Feuerbach aussi ; il a en fait tiré profit de Rousseau, voltaire et un grand nombre de philosophes des lumières ; pour enfin fonder une philosophie révolutionnaire poussant les hommes vers la vraie terre où se décident les choses et la lutte.

De ce point de vue, on ne peut voir en lui que rebelle à la pensée allemande. Les allemands bien ensommeillés, ne voyaient ni révolution ni événements qui décidaient de leur sort. Certainement, il a récolté les fruits de la pensée allemande qui était entrain de rénover, il a rassemblé la critique de la religion à celle de la politique. Il a donc poussé cette pensée de l’esprit vers la praxis. Pour Marx, l’important n’était pas d’expliquer le monde, mais de le changer ; c’est un grand pas pour l’homme et pour l’humanisme. Mais que veut dire changer le monde chez Marx ?

L’homme réel est en relation avec la nature, il produit des richesses et de l’économie. Cette production est en fait, production de la vie matérielle elle-même, sa manifestation et son mode. A chaque période de l’évolution des sociétés correspondent des formes de forces productives et des relations sociales, c’est une relation de production. Le travail est une production d’une vie matérielle. A travers le travail, l’homme se trouve en rapport avec la nature. A partir de là, vient le partage du travail et son organisation; de là aussi le partage entre l’industrie, le commerce et l’agriculture, c'est-à-dire, le partage entre le rural et l’urbain, la compagne et la ville. Le partage du travail conduit au partage de la société en classe, quand le bourgeois fait l’industrie et la culture, l’ouvrier fait le travail manuel ; et selon la classe, le travail et la vie matérielle de l’homme, se déterminent la culture, les idées et la représentation sur lui. La production des idées et de la culture est selon Marx liée à l’activité matérielle de l’homme, c’est le langage réel de la vie réelle. Dans toute société, il y a une idéologie dominante, et elle est celle de la classe dominante. Le premier résultat de ce partage de travail est la propriété ; elle est aussi la forme de tous les rapports sociaux ; Marx en déduit après une étude historique, que l’humanité a connu quatre périodes dans l’histoire : la propriété primitive où l’organisation est la famille, l’échange est la guerre, cependant les forces productives étaient les pêcheurs et tous ceux liés à l’agriculture. La propriété communale, la propriété féodale, puis la propriété privée d’où la classe bourgeoise. Or le passage de ces genres de propriété se faisait toujours par la révolution, par laquelle on passera au communisme.

Selon Marx, la machine et l’argent sont une force destructive, ils corrompent les relations sociales. Il faut donc éliminer le partage du travail, donc le partage des classes, et fonder une société sans classe où règnera la liberté et la solidarité des hommes entre eux, c’est la société communiste qui arrivera par le prolétariat ; c’est la classe qui éduquera les hommes par sa propre idéologie qui est la meilleur pour l’humanité et le salut de l’espèce humaine. Selon Marx, c’est l’homme qui fait et crée l’histoire, mais cela pose des questions bien sérieuses : que veut dire changer l’histoire ? L’histoire est-elle une structure qu’on peut volontairement construire en garantissant la continuité ? On voit déjà l’idée de progrès tant défendue par Hegel. Mais si l’histoire va et change par l’effet de la lutte des classes, cela veut dire que le rôle de l’individu n’a pas de place, cet individu à qui s’adresse exclusivement Nietzsche, plein de vitalité et de force, ne compte encore rien, comme chez Hegel. Mieux encore, cette classe qui fait bouger l’histoire et que le communisme éliminera, ne va-t-elle pas poser un problème, puisque l’histoire risque de s’arrêter du fait qu’il n y aura plus rien qui la ferait bouger. On voit mal comment cette histoire marchera sans l’effet des classes ! Marx dit que la contradiction entre l’homme et homme, passera à la contradiction entre homme et la nature, mais cela ne fera pas bouger l’histoire, alors comment et que deviendra l’histoire sans contradiction ? Marx a donc exclu les contradictions, mais peut-on les exclure sans tomber dans un vide ontologique ? C’est donc, en premier lieu, un problème Ontologique grave, puis ça nous met devant une vraie utopie : un monde sans contradiction ! Puisque la conscience est un réflex de la structure matérielle, qu’elle sera cette nouvelle superstructure sans une structure matérielle ? S’agit-il d’état de culture absolument calme puisqu’elle n’est pas une idéologie d’une classe ? Finalement on se trouve devant une matérialité sans contradiction et une pensée sans contradiction ! Même Zénon n’a pas pensé à ça !

Cela veut dire aussi, que ce qui intéresse Marx, c’est le tout humain et non pas l’individu, et par là, il est tombé dans le piège de Hegel, qui lui, voyait dans l’individu une fraction d’existence n’ayant aucun effet dans le processus de l’histoire. Marx n’est donc pas sorti du Hégélianisme et a finit par tomber dans les mêmes positions métaphysiques. C’est donc sa part à lui !

L’histoire n’est pas gouvernée par la raison, mais plutôt par la classe. Or en finissant avec la raison, Marx a finit avec la classe, qui est la matérialité qui fait bouger l’histoire. Il a finit avec l’homme ! On est là devant un humanisme sans homme. En tout cas, l’expérience soviétique a montré effectivement qu’il s’agit d’un projet raté de libération chez Marx, un projet raté d’humanisme ; alors que le point de départ était le changement et non pas la réflexion transcendantale sur le monde. Le marxisme n’a pas pu réaliser un pas dans le chemin de l’humanisme, il n’a pas réalisé non plus un pas dans le dépassement de la métaphysique. Le seul point fort de Marx était l’économie politique, et là encore, c’est le capitalisme qui en a profité. Cela nous permet de comprendre pourquoi Foucault a pensé le pouvoir loin de Marx, et a posé le problème de l’homme en d’autres termes : la problématisation et l’Ontologie du présent.


TRIBAK AHMED

20.10.07

L'Humanisme critique de Foucault

Zarathoustra n’était pas un simple exercice littéraire, c’est plutôt l’un des ouvrages qui ont marqué un changement considérable dans l’histoire de la philosophie, et dans la pensée humaine en général. Cet ouvrage n’a pas été bien accueilli par l’esprit de son siècle ; non pas que les contemporains n’étaient pas assez intelligents pour cela, mais c’est que cet ouvrage était de nature posthume ; il faut reconnaitre que Nietzsche était là, contre toute l’histoire de la philosophie. C’était une révolution très profonde, et c’est pour cela qu’il avait besoin de plus d'un siècle pour être accessible et à jour.

La révolution de cet ouvrage commence déjà dans le style de l’écriture qui refuse les affirmations habituelles, et la certitude souvent connue sous le nom de la sagesse ! Le lecteur est obligé à se libérer des philosophies de la présence et de la certitude ; il est appelé à quitter l’évidence formelle de l’écriture comme dans les philosophies déjà épuisées et fatiguées par la raison fromelle et transcendante, comme celle de Kant.

Cette histoire de Zarathoustra, n’est en fait que l’histoire de l’homme lui-même ; autrement dit : Ainsi je parle ! Après une dizaine d’année à méditer l’existence dans la cave, Zarathoustra comprend qu’il ne fait que perdre son temps et qu’il vaut mieux d’aller vers l’homme et pour l’homme : " Ô grand astre, quel serait ton bonheur si tu n'as pas ceux que tu éclaires ! "1 Tu n’auras pas de sens, toi le soleil, si ceux que tu éclaires n’existent pas ! Voilà que la philosophie est devant un énoncé radicalement différent à ce qui a été habituel auparavant. Mais quel sens aurait le sujet et le corps humain, s’il n y’a pas là, ces belles choses qui le justifient ? L’acte, le plaisir, la création, l’invention, la victoire, le défi …etc. De là, la morale est une contre nature. Et au lieu de chercher la vérité dans cette présumée hauteur, il vaut mieux descendre vers la terre, vers l’homme. Même ce prêtre qui a donné sa vie pour des chants sacrifiés à Dieu, ignorant que ce dernier est mort, et demeure mort, dans une mort double avec L’homme, est loin de comprendre l'illusion qu'il s'est faite de sa raison. L’homme créa dieu et voilà qu’il meurt avec lui en sa compagnie. Contrairement au prêtre qui s’entoure de bêtes, et fait tout pour s’approcher de dieu. Zarathoustra aime l’homme, il descend vers lui, non pas pour le vénérer, mais pour le mettre dans son vrai et convenable statut après avoir tué dieu.

Le 19 ème siècle était déjà habité par cette idée de dieu qui meurt ; c’était une idée bien propre à cette époque marquée par la révolution Française et la pensée des lumières. A partir de cette époque, l’homme a pris conscience de lui, et de ses capacités ; lui qui vient de découvrir l’énergie en la mettant à son service ; lui qui vient de développer l’économie, l’industrie, le commerce et les sciences. Il est tout à fait légitime qu’il revendique sa supériorité sur la terre, et sa liberté. Mais ce n’était pas pour lui une nouvelle puissance qu’il vient de découvrir, mais plutôt une puissance très ancienne, et qu’il est temps de la revendiquer et de se l’approprier solennellement.

Les vielles valeurs morales, surtout celles liées aux religions, sont devenues mépris et désuétudes : Mais qu’est ce que cette pitié m’importe ? 2 N’est elle pas elle-même qui a crucifié celui qui a aimé l’homme, mais cette nouvelle pitié n’est pas crucifiante ! Il faut aimer ses péchés qui crient vengeance. Il est un peu tard pour ces valeurs mortelles ; l’homme est sensé penser et créer d’autres valeurs qui lui sont serviables, qui lui sont très proches. Il est temps pour l’homme pour réévaluer sa tenue et se libérer de celle, humiliante, du singe. C’est ce que la volonté humaine veut maintenant et désormais : la volonté de puissance ! Or les dangers parmi les humains sont pire que ceux parmi les animaux, et le plus grand de ces dangers est la pitié, car dans ses plis guettent les plus mortels des couteaux ; c’est bien cette pitié qui a tué dieu, alors que l’échec et la soumission de l’homme suffisent, et qu’il regarde, dans son horizon, vers les plus haut. Le monde parait comme un dieu souffrant, comme une joie inachevée et perdue. Zarathoustra ne voit que la tragédie et l’affrontement ; le surhomme est cet homme qui a compris cela ; il a compris qu’il a perdu assez de temps dans ses illusions. Il a compris que rien ne lui viendra en aide sauf sa propre volonté, sa propre puissance, il a compris qu’il est capable de se prendre en charge par lui-même.

L’homme est jeté dans le monde, livré à lui-même, et il doit pour ça, assumer son rôle pour se défendre. Nietzsche ne trouve aucune difficulté pour parler de cette double fatigue de dieu et de l’homme, cet épuisement, il s’est investi courageusement pour parler de cette création ambigüe ! Qui a créé qui ? Pourquoi ? Quelle est la place des prêtres dans tout ça ? C’est un monde éternel et défaillant, image de défaillance et de contradiction, une joie manquée d’un dieu défaillant, ce dieu que l’homme a créé est une invention et une folie humaine comme dans toutes les inventions ; mais une fois guéri, l’homme serait ridicule de croire encore à ces spectres ;

Une souffrance et une humiliation comme toujours chez les amoureux de l’au-delà. Il est vain de courir après la fin de ces choses, il y a épuisement et ignorance non bénéfique, car elle ne fera que croitre et foisonner les dieux et les au-delà. Or, selon Nietzsche, le moi, est la volonté discrète et grandiose de l’homme. Ce moi qui est diffamation et péché crée, veut, valorise, donne ses valeurs aux choses. Mon moi, est une fierté que j’enseigne aux gens ; alors qu’ils cessent de cacher leurs têtes sous le sable, et qu’ils l’emportent comme une nouvelle histoire et symbole de la terre, et du sens de la terre. Nietzsche enseigne aux gens une nouvelle volonté : l’amour de leurs chemins, la création, le meilleur jugement sur lui sans avoir à rompre comme ces malades moribonds. Il y avaient là toujours, plusieurs de ces gens malades qui créent et cherchent dieu, et détestent tout chercheur de savoir. Ces hommes forts qui ont fondé les intouchables institutions, imitant dieu dans sa force, et qui ont coupé toute respiration pour incriminer et punir le doute, symbole du grand péché chez eux. Mais, écoutons les voix de nos corps qui est pure, elle parle du sens de la terre. Cette terre et ces corps pure, sont bien ce que Nietzsche adore, ils sont la plus grande extase secrète de l’homme. Le moment est venu pour annoncer sa légitimité et revendiquer son avoir. " Il n’y a donc pas de phénomènes moraux, mais seulement des interprétations morales " 3 ; ainsi, les valeurs ne sont plus absolues et sont en dehors de l’homme ; au contraire, l’homme en est le créateur et l’investisseur.

L’homme avait renié la voix de son corps, et a inventé contre ça des récits hypocrites et essoufflant que nul ne peut plus supporter. Et cela s’est joué dans un jeu de pouvoir, et avait aussi une joie que l’homme avait aimé et lui avait attribué des noms majestueux comme la chasteté, la pitié ; mais ce jeu de pouvoir lui-même permet de changer les règles du jeu ; l’homme se voit désormais volant comme un dieu qui danse vers le surhomme. C’est ce parcours que Nietzsche voyait venir au détriment de ces mauvaises valeurs et c’est exactement là, le chemin de Foucault quand il parle du pouvoir, des corps, de la résistance, des sujets, et des désirs.

Selon Nietzsche, dieu est mort, il faut maintenant que le surhomme puisse vivre, c’est la dernière volonté de l’homme ; comme le grand astre, nous aimons la vie et tous les océons profonds ; or tout ce qui est profond doit émerger au niveau de l’homme. C’est que la vérité ne doit pas être dans les profondeurs, et elle ne l’est pas ; le propre du surhomme est de la faire émerger là où se trouve l’homme. Et ceux là, les propriétaires des vertus et ses producteurs qui aiment marchander l’homme, doivent accepter leurs crépuscules et leurs disparitions. Cela nécessite un courage inédit, c’est ce courage qui est le plus brave des meurtriers ; le courage offensif ; et puisque l’homme est le plus courageux, il a vaincu tous les animaux, et ce n’est qu’avec le bruit des guerres que l’homme a dépassé ses douleurs. Or ce courage portait toujours le risque de la mort, car dans tout courage, il y a danger de mort ; mais malgré le sang qui y coule, l’homme n’a jamais cessé de s’insurger et d’attaquer, et c’est bien la marque en lui du surhomme, elle est ce nouvel humanisme qui règne dans notre monde contemporain et que Foucault a voulu montrer. L’homme ne dépasse une belle passion que pour en avoir une autre à sa place, et c’est la marque du surhomme, c'est-à-dire l’homme voulant.

Depuis longtemps, l’homme négligeait les petites choses, mais pour combien de temps doit-il encore se plier devant les petitesses ? La vertu transforme l’homme en médiocrité, il devient l’homme tout court, mais sa volonté de puissance persiste à l’offensive et l’insurrection, et c’est pour ça que la guerre et la révolution étaient des qualités humaines. Dieu était le pire des dangers pour l’homme qui n’a pu apparaitre qu’après avoir enterré dieu ; maintenant, il est le surhomme grâce à ça. Ainsi se réalisa la plus grande révolution que l’homme ait jamais connue, une révolution beaucoup plus importante que celle appelée par Marx.

Nietzsche avait vu, qu’avant de penser à n’importe quelle révolution, il faut d’abord envahir l’ordre de nos problèmes ; cet ordre se trouve dans l’homme lui-même, dans son intérieur. Les vertus et ses graves créateurs sont plus dangereux pour l’homme que n’importe quelles d’autres choses ; et quand il s’en débarrasse, il peut se guérir de sa lâcheté et récupérer sa souveraineté sur terre. Nietzsche ne fait ici que récupérer ce qui était la différence des grecs, c'est-à-dire la pensée de la tragédie.

En fait le surhomme est survenu depuis que l’homme est venu au monde ; et peut être que son moment le plus fort était celui où il a tué dieu et a déclaré la guerre contre les valeurs. Nous voilà maintenant devant le surhomme dans sa guerre contre un monde dominé par la technique. C’est ce que Foucault voulait dire lorsqu’il fait comprendre que la question qu’il faut poser ce n’est pas sur qui va reprendre l’ordre chez l’humanité avec la succession des espèces, mais plutôt quel genre d’humain il faut élever comme être qui va mériter ce future. Ce genre est déjà venu, non pas parce que c’est voulu, mais par pure coïncidence. On éduquait le contraire de cet homme, parce qu’on le craignait.

Nietzsche était ferme au sujet de dieu et des religions, ces deux êtres qui devaient disparaitre pour permettre à l’homme sain de venir, or l’homme sain n’est pas celui qui est contre dieu et la religion, mais plutôt leur prédateur, leur déconstructeur, qui va donner son mieux, l’homme régnant lui-même. On voit donc comment Nietzsche parle non pas seulement de la mort de dieu, mais d’une double mort, d’une mort simultanée de dieu et de l’homme. Mais si la mort de dieu ne pose pas trop de question et trop de peur, celle de l’homme se comprend très mal, comme cela était le cas avec Foucault dans « les mots et les choses », or, chez les deux, il s’agit de la même mort, sauf que chez Foucault, il y a une description de cette mort à travers l’évolution des savoirs qui ont entrainé la disparition de l’homme derrière l’être du langage.

Que reste-il alors de l’homme depuis qu’il détruit la morale et devient lui-même le chercheur et l’objet de recherche ? Et puisque l’homme est le créateur de la morale, il en est le destructeur : le bon est ce qui provoque chez l’homme le sentiment de la puissance, la volonté de puissance, la puissance elle-même. Le mauvais est ce qui vient de la faiblesse. Le bonheur sera donc ce qui augmente et accroit la puissance et le sentiment qu’un obstacle est en dépassement. C’est là, l’homme qui disparait pour donner en permanence l’homme voulu, de toutes façons, cet homme ne cesse d’apparaitre. La mort de l’homme est une mort qui se renouvelle interminablement, mais cette mort n’est que la mort d’une idée métaphysique sur l’homme, cette idée qui s’est construite dans le 17 ème siècle, et qui consiste à dire que l’homme est une valeur absolue et sacrée, mais les sciences humaines sont venues la contredire, il y a cependant un fil précieux et très fin entre Foucault et Nietzsche.

Lorsque Nietzsche refuse la notion de progrès, il veut dire par là que l’homme passe d’un état à un autre selon sa force créateur et destructeur, cette force ne conduit pas forcément à un statu meilleur par apport à ce que prétend la religion ou ce que prétend Hegel, mais elle le pousse vers la mutation sans que cela ne signifie une fin occulte déterminée et planifiée préalablement ; chez Nietzsche il s’agit de mutation et non pas de progrès: " regardez ! je suis celui qui doit toujours se surmonter " c'est-à-dire que l’homme est une énergie qui ne cesse d’exploser dans tous les sens. La meilleur qualité chez l’homme, c’est cette volonté de puissance, tout être humain est une volonté de puissance, cela implique dès le début une réévaluation de la vie et de l’homme. C'est-à-dire reposer la question des valeurs qu’on a souvent accordée à l’existence selon une nouvelle perspective. On est appelé à refaire et à reconsidérer l’échelon des interprétations, Nietzsche était le premier à faire cela : la liberté de l’homme.

La volonté de puissance comme interprétation de la vérité prend plusieurs dimensions, comme l’éternel retour et le surhomme, cela réfute toute pensée et cause métaphysiques ; nous interprétons le monde comme volonté de puissance, cette volonté n’existe pas en dehors de nous, elle est liée à notre interprétation. La volonté de puissance dans son sens général est la propriété de tout ce qui va devenir, aucune vérité ne se trouve en soi, et ne reste jamais constante puisque toute chose devient selon sa propre puissance. Être une volonté de puissance signifie, n’être jamais identique à soi, être plutôt emporté, poussé vers son extrême, l’existence est toujours une existence vers le plus. La volonté de puissance est un processus personnel, et puisque tout être est processus, alors il change selon sa propre force qui le définit, seulement cette volonté ne prend aucun sens traditionnel, c’est tout simplement cette force dans l’être à se réaliser.

Or l’homme est obligé de faire face à la vie avec ses contradictions, de là la tragédie. Foucault prend au sérieux cette qualité tragique de l’homme, mais il le fait en rapport avec la volonté de savoir ; c’est à partir de ce rapport qu’on comprend sa théorie sur le pouvoir.

La pensée allemande avait besoin de ce secouement que Nietzsche avait fait ; en fait, la dialectique de Hegel n’était pas suffisante pour enrichir la philosophie, ni le matérialisme de Feuerbach ; on avait besoin d’autres voix, plus farouches, rebelles et plein de passion. Nietzsche considérait que la pensée allemande est responsable de ce monde d’illusions 4 qui a entravé la vie des hommes ; il était convaincu que les allemands le comprendrait quand il disait que la philosophie est corrompue par le sang du prêtre, et Kant en était un exemple manifeste qui n’était pas trop différent de Luther ou Leibniz, les trois étaient la plus grande atteinte à l’acuité allemande.

On comprend de la critique Nietzschéenne à la pensée allemande 5, une révolution radicale du fait qu’elle a voulu annoncer le crépuscule de tous les idoles, et du fait qu’elle a voulu faire de l’homme le seul souverain sur terre, et donc responsable seul de lui-même et de son devenir. Il doit faire face à la vie, et doit se déclarer le créateur et le créé en même temps, c'est-à-dire l’existant fini qui doit mourir pour créer, et c’est là, l’éternel retour. Nietzsche est allé jusqu’à prononcer son grave verdict : l’histoire commence aujourd’hui même à midi, au moment même de cette mort de dieu. Cette philosophie offensive et incitatrice à la création est bien celle que Foucault a adoptée, et c’est à partir d’elle qu’il a regardé l’horizon de l’homme contemporain, présent dans la politique et par la politique qui est sa principale condition: C’est un nouvel humanisme.

Si j’insiste sur la critique de Nietzsche à la pensée allemande, c’est parce qu’elle est basique dans la formation de la philosophie de Foucault ; en fait voici les éléments essentiels de cette critique : 1- Nietzsche refuse la philosophie allemande parce qu’elle n’a pas pu se libérer de la pensée du moyen âge. 2- il voyait dans la philosophie allemande un vrai danger pour l’homme. 3- en déclarant la mort de dieu, il déclare la mort conjointe de l’homme. 4- il a refusé l’idée de l’homme négatif ou transcendant pour l’homme libre attaché à la terre, responsable de sa vie. Cela a permis à Foucault d’élaborer son projet qui consiste à problématiser la vie de l’homme ; il en a fait sa propre Ontologie qui ne compte que le présent.

Foucault a donc quitté l’humanisme classique pour un humanisme critique, militant et acteur 6. On a beau dire que la philosophie de Foucault est un anti-humanisme, mais ce n’était qu’une mauvaise lecture de cette philosophie, Foucault ne parle pas d’une mort physique de l’homme, mais d’une mort conceptuelle ; c’est une fausse idée sur l’homme qui a disparu. Par contre l’homme effectif, celui du terrain, acteur et responsable de son devenir, est l’homme réel, il n’a plus rien de transcendant, plus rien d’absolu, il est au contraire le seul acteur. Paradoxalement, cet homme qu’on vient à peine de découvrir est objet lui aussi des sciences, et par là même, il doit disparaitre comme valeur absolue pour être objet de sciences et de savoir ; il ne peut pas rester à la fois transcendant et objet de savoir, il faut alors qu’il quitte son statut transcendant, mais garder sa souveraineté dans la vie sociale, dans le champ politique. Et c’est bien pour cette raison qu’on voit Foucault s’intéresser aux questions les plus directes de l’homme : le pouvoir – la sexualité – la prison – la vérité – la morale – le savoir …etc. Ainsi l'humanisme classique a cédé sa place pour un humanisme critique.

TRIBAK AHMED


1- Nietzsche F. : « Ainsi parlait Zarathoustra » p.9.
2- Nietzsche F. : « Ainsi parlait Zarathoustra » p.157.

3- Nietzsche F. : « par-delà bien et mal » p. 96.[1]

4- Nietzsche F. : “ l’Antéchrist” p. 13.

5- Nietzsche F. : “ Fragments posthumes” 12. Trad. Hervier 1978. Gallimard

6- Dreyfus H. et Rabinow P. : « Michel Foucault : un parcours philosophiques. Gallimard, 1984.