Je crois que la psychanalyse est une des découvertes qui ont marqué notre époque. Une découverte qui a eu un impacte très fort sur la pensée postmoderne. Je pense que les principales questions que l’on peut se poser à propos d’elle, sont les suivantes :
1- Quelle est l’apport philosophique qu’elle a imposé au niveau de la cette discipline ?
2- Quel est son statut dans l’épistémologie ?
3- Comment peut-on comprendre la pratique psychanalytique dans l’espace de la thérapie ?
Ces questions ne sont qu’à titre indicatif, bien d’autres questions s’imposent. J’essayerai de les aborder en suivant ce plan.
1 – L’apport philosophique :
Pour éviter l’approche académique, je vais me limiter sur le changement que la psychanalyse a opéré sur certains concepts philosophiques, laissant au débat la possibilité ouverte d’aborder les autres concepts.
Freud rejoint Nietzsche et Heidegger sur un point considéré comme mutation quasi importante dans la philosophie, Les trois ont changé le statut du sens. Le sens n’a plus d’aspect absolu, il n’est plus dans une profondeur, car il n’y a pas de profondeur, c’est une illusion; c’est reprendre la métaphysique de Platon.
Le sens n’est pas non plus dans un plat absolu, il est dans ce mouvement double de disparition et d’apparition. La philosophie post-moderne a quitté complètement toute la métaphysique du sujet, de la présence, de l’essence. Heidegger a réalisé le deuil de cette métaphysique.
L’inconscient chez Freud ne loge pas dans une partie profonde, cachée quelque part, attendant qu’on la découvre. L’inconscient se positionne à côté des autres niveaux sur la surface, il est une partie de l’appareil psychique où les sens s’activent en mouvement permanent. L’interprétation est une technique ouverte, opératoire qui consiste à instaurer une lecture diagnostique des symptômes.
L’identité n’est ni close, ni ouverte, elle est l’autre face de la différence, en mouvement permanent, cela veut dire que l’inconscient n’est pas une obscurité sur laquelle il faut projeter de la lumière, il est une entité changeante, il est un objet sur lequel on peut opérer les techniques de lecture.
Pour protéger et éloigner l’inconscient de toute portée métaphysique, Lacan l’a formalisé, l’a pris pour une structure soumise aux techniques de la linguistique. Je crois que Freud contribue et rejoint en particulier, au travail de Heidegger, ouvrant tout un monde nouveau devant la philosophie où l’homme est un objet de savoir. De là, l’idée choquante de Foucault sur la mort de l’Homme.
Je préfère qu’ils soient édités séparément comme dans le cas des premières études, je pense que cela permettra à tout le monde d’y participer. Trois messages à la fois séparés et enchaînés.
2 – Quel est son statut épistémologique :
En général, la rupture entre le normal et l’anormal dans la vie psychique humaine n’est jamais apte à la définition catégorique, mais cette définition reste un objectif à élaborer malgré les difficultés. Il y’a cependant une taxinomie reconnue par ces pratiques. Cette taxinomie soutient ce qui suit :
Les psychoses : sont des dépressions majeures à différent niveau, tels que la schizophrénie, la paranoïa, la maniaco-dépressive, la mélanco-dépressive.
Les névroses : phobies, obsession, anxiété …etc.
La psychiatrie voit ces maladies comme déficience mentale, comme dérèglement de la chimie mentale. Elle propose la pharmacologie comme traitement. Le principe consiste à administrer des produits agissant sur l’équilibre mental, et sur la vie mentale. La psychiatrie ne cherche pas à analyser la maladie, mais seulement à en définir le tableau clinique.
La psychanalyse à une approche totalement différente, elle voit la maladie dans sa généalogie depuis la naissance. Elle définit cette généalogie depuis la naissance en distinguant les différentes phases : la schizophrénie revient à la phase buccale où l’individu a fait une fixation, c'est-à-dire qu’il n’est pas passé à la phase suivante. La paranoïa revient à la phase sadomasochiste. La dépression maniaque revient à la phase oedipe.
C’est que l’individu passe par des phases, et il doit réussir le deuil de chaque phase, sinon il garde en lui le germe de la maladie. La psychanalyse ne fait pas recours à la pharmacologie, mais plutôt à des techniques qui lui sont propre. Ces techniques sont cohérentes et forment un arsenal très puissant dans leurs applications.
Le transfert et le contre transfert : Le principe ici, concerne le psychanalyste et le psychanalysé au même temps. Le premier doit être sûr qu’il ne porte rien en lui qui peut affecter le processus de psychanalyse, cependant il pourra recevoir le transfert en gardant sa distance, et cela garantit l’état de l’objectivité. Le deuxième doit être sûr qu’il est capable de laisser libre cours à son discours, sans projeter sur le psychanalyste une image personnelle qui pourrait gâcher le processus. Cela pose un autre problème : La résistance. Le psychanalyste doit réussir à briser cette résistance. Mais c’est là une interaction, un effort où les deux participent activement, et lorsque cette collaboration se réalise, l’instant de l’objectivité devient possible.
Mais il est à noter que la psychanalyse ne peut pas intervenir que lorsque l’individu n’est plus dans l’état psychotique. Il est à noter aussi que la pratique psychanalytique diffère selon la conception du psychanalyste et son appartenance à une école ou tendance. Il reste à dire aussi que la psychanalyse n’est pas une acculturation, c’est le moyen par lequel et à travers lequel on met de l’ordre à ce qui en désordre.
Le problème du normal et de l’anormal est essentiellement épistémologique, Quels sont les critères ou les caractéristiques qui nous permettent de définir ce qui est normal et ce qui est anormal ? Les deux termes font parties du langage commun.
Lorsqu’on parle de psychotique et de névrotique, la question devient : à partir de quel système de référence on définit les deux termes ? De la psychiatrie ? Quelle théorie de psychiatrie, car il y en a plusieurs. Se la psychanalyse ? Quelle théorie de psychanalyse, car, là aussi il y en a plusieurs.
Donc, la complexité du phénomène nous appelle à définir l’angle à partir duquel on parle. Cependant, il est clair qu’une seule approche n’est pas suffisante, et que l’approche systémique est nécessaire, car elle nous permet de voir la question dans tous ses aspects.
Le rêve, la litote, le lapsus, le mi-dire, l’euphémisme, l’anti-phrase…etc, sont pour la psychanalyse un matériel très puissant dans le processus de la psychanalyse ; mais pour la psychiatrie, ils n’ont aucune importance, parce qu’elle repose sur un tableau clinique, une taxinomie définit à partir d’une conception sur les psychoses et les névroses. La psychiatrie traite les symptômes psychosomatiques comme maladie, et non pas comme symptômes psychogènes. Son intérêt est de faire taire ces symptômes, la psychanalyse prends son départ de ces symptômes comme effets d’un malaise, d’un désordre dans l’affect, dans l’histoire affective de l’individu.
Lacan a introduit la linguistique parce que le langage réfère les symptômes et parce que cela permet au psychanalyste d’oublier son affect a lui, pour pouvoir lire l’affect de l’individu sans confusion ou amalgame. Le psychanalyste n’est pas sensé être gentil, ni tendre, ni affectueux, il est sensé maîtrisé son affect pour pouvoir diagnostiquer l’affect de l’individu ; il n’est pas un père, ni une mère, ni un abbaye, il est le regard neutre qui dialogue avec les symptômes : c’est là le statut épistémologique. Pour Lacan, les symptômes sont le langage de l’inconscient, ils sont « les signifiants d’un signifié refoulé dans la conscience du sujet.
3 – Psychanalyse et espace de la psychothérapie 1 :
Après Freud, la psychanalyse en tant que théorie de savoir sur l’homme, a pris une autre voie, celle de devenir une pratique de thérapie, un traitement pour l’hygiène psychique. Cela a posé un autre problème, il fallait préciser les procédures à suivre dans cette voie. C’est à ce niveau que les écoles et les tendances se sont multipliées sans s’éloigner des concepts fondamentaux de Freud. Un autre système de savoir est apparu : La psychothérapie, non en tant que savoir sur l’homme, mais comme théorie de guérison au sens large du terme. Le névrotique est un individu qu’il faut soigner. Le champ de la psychiatrie s’est trouvé envahi par cette discipline qui vise la psyché, l’ordre de la psyché. La psychiatrie aussi a pris tendance à s’occuper de ce niveau. Ce sont les maladies psychosomatiques qui ont appelé à cette convergence.
Ce genre de maladies n’ont presque souvent aucune base organique, mais les dysfonctionnements sont pourtant apparents et appellent à l’intervention : Pseudo rhumatisme, pseudo asthme, pseudo migraine, troubles digestifs …etc. Actuellement ces maladies sont devenues très fréquentes.
Dans les années soixante, c’était encore la neuropsychiatrie qui dominait le champ de ces maladies, la dimension psychologique était presque absente. La neuropsychiatrie portait sa vision organique, d’où l’usage des médicaments antidépresseurs et tranquillisants ; toute cela pour s’adresser aux douleurs, l’angoisse, l’anxiété, se traitent comme douleurs et non pas comme symptômes d’une affection psychique. Les benzodiazépines, les tricycliques étaient les médicaments les plus utilisés. Avec la décennie 70, le champ de la psychologie commence à s’imposer dans le champs de la clinique, d’abord la psychiatrie s’est séparée de la neurologie, puis elle a commencé à adopter des notions du domaine psychanalytique ; mais la psychanalyse traçait son chemin en silence avec les divergences entre les différentes écoles de psychanalyse. A partir des 80, un nouvel espace s’est imposé comme moyen pertinent dans ce domaine qui est la psychothérapie, or ce terme toujours très vague, la psychanalyse avait accumulé une grande expérience dans le domaine du cabinet où les outils sont bien définis : le divan, l’espace clos du cabinet, la séance limitée par l’horaire. En plus des outils fondamentaux : transfert, contre transfert, rêve, résistance, langage. Mais, le plus important, c’est que la relation entre le psychanalyste et le patient est une relation contrôlée et quadrillée selon des règles très précises. Tout ça fait de la psychanalyse une pratique qui s’active dans un espace considérable d’objectivité. Les cures psychanalytiques sont très fermes et efficaces, et l’objet visé est la remise en ordre des troubles névrotiques, sachant que la psychanalyse ne nie pas l’aspect organique que ce soit dans les psychoses ou dans les névroses, sauf que dans le deuxième cas son efficacité est considérable. Ce qui grave, c’est que des psychiatres commencent à utiliser le divan comme outil, c’est une aberration, car la psychiatrie ne dispose pas de moyens conceptuels pour exercer et emprunter les outils de la psychanalyse.
Les statistiques montrent que la plupart des maladies traitées par les médecins sont d’ordre psychique : les troubles psychosomatiques. Ce que fait qu’actuellement la tendance vers la psychanalyse devient de plus en plus forte. Mais ce qui met les obstacles devant la psychanalyse, c’est généralement deux choses :
1- La peur des gens vis-à-vis de la psychanalyse, cela tourne au tour de la résistance ; l’individu trouve difficile et douloureuse une confrontation de soi.
2- L’absence d’un statut général accepté par tous les psychanalystes, ce qui empêchent qu’elle soit reconnu dans les structures administratives, par exemples, les frais des cures psychanalytiques ne sont pas remboursables.
La psychanalyse n’est pas encore reconnue comme pratique de traitement. Alors que les maux les plus courants sont d’ordre psychique : Dépressions mineurs, angoisse, anxiété, insomnie, troubles psychosomatiques, phobies. Je pense que c’est très signifiant que la majorité des gens consomme les tranquillisants et les sédatifs. En revanche, les frais de la psychanalyse sont très coûteux et non remboursables
D’autres pratiques de thérapies se multiplient en conjuguant les concepts de la psychanalyse et ceux de la psychiatrie. Ce qui est sûr, c’est que la psychanalyse n’a pas encore trouvé son propre espace, d’autres parts la confusion et l’amalgame ne cessent de s’accroître à propos de cette dimension humaine qu’est la psyché.
3 – Psychanalyse et espace de psychothérapie 2 :
J’insiste sur le fait que le psychotique, ne peut pas être objet de la psychanalyse, cela pour une raison de base, c’est que la psychanalyse travaille à partir du langage dans toutes ses dimensions. Le psychanalyste est obligé de passer par le langage pour voir et lire les symptômes qui sont traces de ce qui est en désordre chez le patient ; or sans langage les symptômes restent inaudibles, invisibles. Or le langage du psychotique et fragmentaire, confus, discontinu amalgamé. Prenons un exemple, Un psychotique dit cela : « J’ai mangé une voiture ». A première vue on est choqué par cette phrase, mais une question pertinente se pose : Qu’est ce qui est choquant dans cette phrase ? Au niveau syntaxe la phrase est correcte. Au niveau sémantique la phrase est encore correcte, elle transmet un message. C’est au niveau pragmatique que sa phrase pose des problèmes, car il n’est pas connu chez les hommes qu’on mange des voitures. Si on change voiture par lion, il serait possible quelques parts qu’on mange des lions. Il y’a donc, chez le psychotique une discordance entre les trois niveaux du langage qui rend impossible l’interprétation. D’autres parts, le message du psychotique ne porte pas de message dans certaines formes : La schizophrénie, où règne le silence, le langage dans ce cas n’a pas lieu ou ne porte pas de message ayant relation avec le personnage du psychotique. Chez le paranoïaque le langage encore ne fait pas référence à l’histoire du malade, ainsi que pour le maniacodépressif oû le langage est tant tôt excessif tant tôt absent. Dans tous ces cas le langage qui le principal outil pour le psychanalyste n’est pas.
Chez le névrotique, le langage reste cohérent dans ses différents niveaux, cependant il transmet une charge d’affect, de signes, de métaphore, qui permettent au psychanalyste de rassembler l’ensemble de ce qui a été dit pour reconstruire avec le patient le tableau et passer à ce qui veut parler et signer chez le patient. Le psychanalyste tout en contrôlant le discours du patient et son rapport avec son comportement et ses réactions, il lui retourne ce discours après l’avoir questionner, travaillé reproduit autrement.
Une femme très bien habillée, bien présentable est en séance de psychanalyse, elle parle et dit : Je ne vaux rien, je suis dégoûtée, je me sens humble, ma vie ne vaut rien …etc, le psychanalyste regarde et écoute ; ses chaussures étaient encore mouillées par la pluie, soudain, il prend un bout du pontalon de la femme et éponge avec ses chaussures, la femme saute de sa place, se met debout et adresse tous les insultes possibles au psychanalyste ce dernier laisse passer la tempête, puis lui dit : Mme Il parait que votre pontalon vaut mieux que vous, est ce vrai ? Devant ce fait, la femme à beaucoup de possibilités de revoir son discours. Donc, c’est le langage bien contrôlé, bien travaillé et retourné au patient pour lui permettre de refaire le bilan vers dans une stratégie de remise en ordre de l’affect touché, c’est un processus douloureux mais essentiel pour le patient et sa remise en accord avec soi même. Ce n’est là qu’un exemple, or chaque cas a ses particularité, mais le psychanalyste est là pour évoquer et provoquer les questions nécessaires au bon moment.
La critique de Foucault envers la psychanalyse, n’a pas été adressée à sa valeur opératoire, mais à un niveau qui ne concerne même pas la psychanalyse, c’est le rapport de pouvoir que Foucault critiquait à raison, car on fait, là où il y a un couple, il y a une relation de pouvoir qui s’exerce, cette critique est au profit de la psychanalyste qui pensera la question pour en trouver la réponse adéquate. D’ailleurs beaucoup de psychanalyste ont changé l’appellation du malade, et c’est devenu : coopsychanalyste, psychanalysé. Cela pour marquer le regard de la psychanalyse envers l’homme qui est en processus de psychanalyse. Le statut de la psychanalyse reste très pertinent, il suffit de le voir à partir de ce que veut dire la science dans notre époque.
TRIBAK AHMED
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