11.11.07

La part métaphysique de Marx

Hegel avait sans doute poussé la métaphysique jusqu’à son extrême, c’est ce qui explique les violentes critiques qu’il a subies, et ce, de presque tous les philosophes qui l’ont précédé ; notamment Kierkegaard et Schopenhauer ; Marx aussi était très critique vis-à-vis de lui. Seulement la critique de ce dernier, a pris un tournent particulier, celui de transformer la philosophie en praxis pour libérer l’homme.

Le marxisme s’est construit au sein de ce dialogue entre la philosophie de Hegel et celle de Feuerbach, entre une dialectique qui manque de matérialisme et un matérialisme qui manque de dialectique. Dans les deux philosophies, le grand absent est l’homme. Mais il s’agit d’un débat au sein de la culture allemande qui subissait un très grand changement. Alors qu’en France, l’évolution était aussi bien au niveau politique que philosophique. La France vivait un événement quasi important : la révolution. Les allemands préféraient le changement d’idée dans l’esprit de réformisme ; Hegel pensait que la tête allemande a beaucoup de choses à faire dedans et garder calme son chapeau. Or ce qui était en question c’est le développement de l’homme lui-même et la reconnaissance de la raison.

Selon Kant, la philosophie est l’art de l’usage de la raison pour des objectifs réels et absolus, la tâche des hommes est de savoir comment prendre la meilleur place dans le monde et de faire le bon usage de la raison qui a pour principale fonction celle de guider l’homme en l’éduquant, à savoir progresser et voir claire, voir la lumière ! La raison cependant est la plus importante des découvertes de l’homme. Hegel trouvait aussi, que la meilleure chose qui a pu arriver à l’humanité depuis l’existence du monde, c’est lorsque l’homme a compris que son existence est dans sa tête, c'est-à-dire, dans la pensée qui l’a aidé à construire la réalité, c’était l’aube gracieuse de la raison précieuse. Cette idée est sans doute l’une de l’impact des lumières, où l’idée de la liberté est majeure. Selon lui, l’expérience politique de la révolution Française devait s’accompagner de l’esprit allemand. Or cet esprit, selon Hegel, doit rester lié à la religion. Feuerbach voyait bien que l’Allemagne théorique avait pour base, la religion et la politique. Et puisque la politique était toujours un monde épineux, il a adressé et focalisé sa pensée critique sur la religion, dépassant le compromis de Hegel.

Strauss, qui lui aussi a critiqué Hegel, avait indiqué l’importance de la critique historique de la religion. Feuerbach voulait enseigner le sensibilisme et critiquer tout ce qui est religieux comme étant fallacieux et trompant la conscience des hommes. Dieu est une illusion dont-il faut se débarrasser pour mettre la souveraineté de l’homme et nettoyer sa conscience. De ce fait, la politique devient la religion réelle des hommes.

Feuerbach liera l’aliénation à la religion et ne la considèrera pas nécessaire, comme chez Hegel, au contraire, il la considèrera comme illusion qui éloigne l’homme de son essence réelle ; l’homme aliéné voit dans son humanité aliénée un dieu, et c’est de là, l’importance que donne Marx à Feuerbach ; mieux encore, il se basera sur les thèses de ce dernier pour passer à un niveau et un horizon plus vaste. Marx a donc dépassé non pas seulement Strauss, mais Feuerbach aussi ; il a en fait tiré profit de Rousseau, voltaire et un grand nombre de philosophes des lumières ; pour enfin fonder une philosophie révolutionnaire poussant les hommes vers la vraie terre où se décident les choses et la lutte.

De ce point de vue, on ne peut voir en lui que rebelle à la pensée allemande. Les allemands bien ensommeillés, ne voyaient ni révolution ni événements qui décidaient de leur sort. Certainement, il a récolté les fruits de la pensée allemande qui était entrain de rénover, il a rassemblé la critique de la religion à celle de la politique. Il a donc poussé cette pensée de l’esprit vers la praxis. Pour Marx, l’important n’était pas d’expliquer le monde, mais de le changer ; c’est un grand pas pour l’homme et pour l’humanisme. Mais que veut dire changer le monde chez Marx ?

L’homme réel est en relation avec la nature, il produit des richesses et de l’économie. Cette production est en fait, production de la vie matérielle elle-même, sa manifestation et son mode. A chaque période de l’évolution des sociétés correspondent des formes de forces productives et des relations sociales, c’est une relation de production. Le travail est une production d’une vie matérielle. A travers le travail, l’homme se trouve en rapport avec la nature. A partir de là, vient le partage du travail et son organisation; de là aussi le partage entre l’industrie, le commerce et l’agriculture, c'est-à-dire, le partage entre le rural et l’urbain, la compagne et la ville. Le partage du travail conduit au partage de la société en classe, quand le bourgeois fait l’industrie et la culture, l’ouvrier fait le travail manuel ; et selon la classe, le travail et la vie matérielle de l’homme, se déterminent la culture, les idées et la représentation sur lui. La production des idées et de la culture est selon Marx liée à l’activité matérielle de l’homme, c’est le langage réel de la vie réelle. Dans toute société, il y a une idéologie dominante, et elle est celle de la classe dominante. Le premier résultat de ce partage de travail est la propriété ; elle est aussi la forme de tous les rapports sociaux ; Marx en déduit après une étude historique, que l’humanité a connu quatre périodes dans l’histoire : la propriété primitive où l’organisation est la famille, l’échange est la guerre, cependant les forces productives étaient les pêcheurs et tous ceux liés à l’agriculture. La propriété communale, la propriété féodale, puis la propriété privée d’où la classe bourgeoise. Or le passage de ces genres de propriété se faisait toujours par la révolution, par laquelle on passera au communisme.

Selon Marx, la machine et l’argent sont une force destructive, ils corrompent les relations sociales. Il faut donc éliminer le partage du travail, donc le partage des classes, et fonder une société sans classe où règnera la liberté et la solidarité des hommes entre eux, c’est la société communiste qui arrivera par le prolétariat ; c’est la classe qui éduquera les hommes par sa propre idéologie qui est la meilleur pour l’humanité et le salut de l’espèce humaine. Selon Marx, c’est l’homme qui fait et crée l’histoire, mais cela pose des questions bien sérieuses : que veut dire changer l’histoire ? L’histoire est-elle une structure qu’on peut volontairement construire en garantissant la continuité ? On voit déjà l’idée de progrès tant défendue par Hegel. Mais si l’histoire va et change par l’effet de la lutte des classes, cela veut dire que le rôle de l’individu n’a pas de place, cet individu à qui s’adresse exclusivement Nietzsche, plein de vitalité et de force, ne compte encore rien, comme chez Hegel. Mieux encore, cette classe qui fait bouger l’histoire et que le communisme éliminera, ne va-t-elle pas poser un problème, puisque l’histoire risque de s’arrêter du fait qu’il n y aura plus rien qui la ferait bouger. On voit mal comment cette histoire marchera sans l’effet des classes ! Marx dit que la contradiction entre l’homme et homme, passera à la contradiction entre homme et la nature, mais cela ne fera pas bouger l’histoire, alors comment et que deviendra l’histoire sans contradiction ? Marx a donc exclu les contradictions, mais peut-on les exclure sans tomber dans un vide ontologique ? C’est donc, en premier lieu, un problème Ontologique grave, puis ça nous met devant une vraie utopie : un monde sans contradiction ! Puisque la conscience est un réflex de la structure matérielle, qu’elle sera cette nouvelle superstructure sans une structure matérielle ? S’agit-il d’état de culture absolument calme puisqu’elle n’est pas une idéologie d’une classe ? Finalement on se trouve devant une matérialité sans contradiction et une pensée sans contradiction ! Même Zénon n’a pas pensé à ça !

Cela veut dire aussi, que ce qui intéresse Marx, c’est le tout humain et non pas l’individu, et par là, il est tombé dans le piège de Hegel, qui lui, voyait dans l’individu une fraction d’existence n’ayant aucun effet dans le processus de l’histoire. Marx n’est donc pas sorti du Hégélianisme et a finit par tomber dans les mêmes positions métaphysiques. C’est donc sa part à lui !

L’histoire n’est pas gouvernée par la raison, mais plutôt par la classe. Or en finissant avec la raison, Marx a finit avec la classe, qui est la matérialité qui fait bouger l’histoire. Il a finit avec l’homme ! On est là devant un humanisme sans homme. En tout cas, l’expérience soviétique a montré effectivement qu’il s’agit d’un projet raté de libération chez Marx, un projet raté d’humanisme ; alors que le point de départ était le changement et non pas la réflexion transcendantale sur le monde. Le marxisme n’a pas pu réaliser un pas dans le chemin de l’humanisme, il n’a pas réalisé non plus un pas dans le dépassement de la métaphysique. Le seul point fort de Marx était l’économie politique, et là encore, c’est le capitalisme qui en a profité. Cela nous permet de comprendre pourquoi Foucault a pensé le pouvoir loin de Marx, et a posé le problème de l’homme en d’autres termes : la problématisation et l’Ontologie du présent.


TRIBAK AHMED

20.10.07

L'Humanisme critique de Foucault

Zarathoustra n’était pas un simple exercice littéraire, c’est plutôt l’un des ouvrages qui ont marqué un changement considérable dans l’histoire de la philosophie, et dans la pensée humaine en général. Cet ouvrage n’a pas été bien accueilli par l’esprit de son siècle ; non pas que les contemporains n’étaient pas assez intelligents pour cela, mais c’est que cet ouvrage était de nature posthume ; il faut reconnaitre que Nietzsche était là, contre toute l’histoire de la philosophie. C’était une révolution très profonde, et c’est pour cela qu’il avait besoin de plus d'un siècle pour être accessible et à jour.

La révolution de cet ouvrage commence déjà dans le style de l’écriture qui refuse les affirmations habituelles, et la certitude souvent connue sous le nom de la sagesse ! Le lecteur est obligé à se libérer des philosophies de la présence et de la certitude ; il est appelé à quitter l’évidence formelle de l’écriture comme dans les philosophies déjà épuisées et fatiguées par la raison fromelle et transcendante, comme celle de Kant.

Cette histoire de Zarathoustra, n’est en fait que l’histoire de l’homme lui-même ; autrement dit : Ainsi je parle ! Après une dizaine d’année à méditer l’existence dans la cave, Zarathoustra comprend qu’il ne fait que perdre son temps et qu’il vaut mieux d’aller vers l’homme et pour l’homme : " Ô grand astre, quel serait ton bonheur si tu n'as pas ceux que tu éclaires ! "1 Tu n’auras pas de sens, toi le soleil, si ceux que tu éclaires n’existent pas ! Voilà que la philosophie est devant un énoncé radicalement différent à ce qui a été habituel auparavant. Mais quel sens aurait le sujet et le corps humain, s’il n y’a pas là, ces belles choses qui le justifient ? L’acte, le plaisir, la création, l’invention, la victoire, le défi …etc. De là, la morale est une contre nature. Et au lieu de chercher la vérité dans cette présumée hauteur, il vaut mieux descendre vers la terre, vers l’homme. Même ce prêtre qui a donné sa vie pour des chants sacrifiés à Dieu, ignorant que ce dernier est mort, et demeure mort, dans une mort double avec L’homme, est loin de comprendre l'illusion qu'il s'est faite de sa raison. L’homme créa dieu et voilà qu’il meurt avec lui en sa compagnie. Contrairement au prêtre qui s’entoure de bêtes, et fait tout pour s’approcher de dieu. Zarathoustra aime l’homme, il descend vers lui, non pas pour le vénérer, mais pour le mettre dans son vrai et convenable statut après avoir tué dieu.

Le 19 ème siècle était déjà habité par cette idée de dieu qui meurt ; c’était une idée bien propre à cette époque marquée par la révolution Française et la pensée des lumières. A partir de cette époque, l’homme a pris conscience de lui, et de ses capacités ; lui qui vient de découvrir l’énergie en la mettant à son service ; lui qui vient de développer l’économie, l’industrie, le commerce et les sciences. Il est tout à fait légitime qu’il revendique sa supériorité sur la terre, et sa liberté. Mais ce n’était pas pour lui une nouvelle puissance qu’il vient de découvrir, mais plutôt une puissance très ancienne, et qu’il est temps de la revendiquer et de se l’approprier solennellement.

Les vielles valeurs morales, surtout celles liées aux religions, sont devenues mépris et désuétudes : Mais qu’est ce que cette pitié m’importe ? 2 N’est elle pas elle-même qui a crucifié celui qui a aimé l’homme, mais cette nouvelle pitié n’est pas crucifiante ! Il faut aimer ses péchés qui crient vengeance. Il est un peu tard pour ces valeurs mortelles ; l’homme est sensé penser et créer d’autres valeurs qui lui sont serviables, qui lui sont très proches. Il est temps pour l’homme pour réévaluer sa tenue et se libérer de celle, humiliante, du singe. C’est ce que la volonté humaine veut maintenant et désormais : la volonté de puissance ! Or les dangers parmi les humains sont pire que ceux parmi les animaux, et le plus grand de ces dangers est la pitié, car dans ses plis guettent les plus mortels des couteaux ; c’est bien cette pitié qui a tué dieu, alors que l’échec et la soumission de l’homme suffisent, et qu’il regarde, dans son horizon, vers les plus haut. Le monde parait comme un dieu souffrant, comme une joie inachevée et perdue. Zarathoustra ne voit que la tragédie et l’affrontement ; le surhomme est cet homme qui a compris cela ; il a compris qu’il a perdu assez de temps dans ses illusions. Il a compris que rien ne lui viendra en aide sauf sa propre volonté, sa propre puissance, il a compris qu’il est capable de se prendre en charge par lui-même.

L’homme est jeté dans le monde, livré à lui-même, et il doit pour ça, assumer son rôle pour se défendre. Nietzsche ne trouve aucune difficulté pour parler de cette double fatigue de dieu et de l’homme, cet épuisement, il s’est investi courageusement pour parler de cette création ambigüe ! Qui a créé qui ? Pourquoi ? Quelle est la place des prêtres dans tout ça ? C’est un monde éternel et défaillant, image de défaillance et de contradiction, une joie manquée d’un dieu défaillant, ce dieu que l’homme a créé est une invention et une folie humaine comme dans toutes les inventions ; mais une fois guéri, l’homme serait ridicule de croire encore à ces spectres ;

Une souffrance et une humiliation comme toujours chez les amoureux de l’au-delà. Il est vain de courir après la fin de ces choses, il y a épuisement et ignorance non bénéfique, car elle ne fera que croitre et foisonner les dieux et les au-delà. Or, selon Nietzsche, le moi, est la volonté discrète et grandiose de l’homme. Ce moi qui est diffamation et péché crée, veut, valorise, donne ses valeurs aux choses. Mon moi, est une fierté que j’enseigne aux gens ; alors qu’ils cessent de cacher leurs têtes sous le sable, et qu’ils l’emportent comme une nouvelle histoire et symbole de la terre, et du sens de la terre. Nietzsche enseigne aux gens une nouvelle volonté : l’amour de leurs chemins, la création, le meilleur jugement sur lui sans avoir à rompre comme ces malades moribonds. Il y avaient là toujours, plusieurs de ces gens malades qui créent et cherchent dieu, et détestent tout chercheur de savoir. Ces hommes forts qui ont fondé les intouchables institutions, imitant dieu dans sa force, et qui ont coupé toute respiration pour incriminer et punir le doute, symbole du grand péché chez eux. Mais, écoutons les voix de nos corps qui est pure, elle parle du sens de la terre. Cette terre et ces corps pure, sont bien ce que Nietzsche adore, ils sont la plus grande extase secrète de l’homme. Le moment est venu pour annoncer sa légitimité et revendiquer son avoir. " Il n’y a donc pas de phénomènes moraux, mais seulement des interprétations morales " 3 ; ainsi, les valeurs ne sont plus absolues et sont en dehors de l’homme ; au contraire, l’homme en est le créateur et l’investisseur.

L’homme avait renié la voix de son corps, et a inventé contre ça des récits hypocrites et essoufflant que nul ne peut plus supporter. Et cela s’est joué dans un jeu de pouvoir, et avait aussi une joie que l’homme avait aimé et lui avait attribué des noms majestueux comme la chasteté, la pitié ; mais ce jeu de pouvoir lui-même permet de changer les règles du jeu ; l’homme se voit désormais volant comme un dieu qui danse vers le surhomme. C’est ce parcours que Nietzsche voyait venir au détriment de ces mauvaises valeurs et c’est exactement là, le chemin de Foucault quand il parle du pouvoir, des corps, de la résistance, des sujets, et des désirs.

Selon Nietzsche, dieu est mort, il faut maintenant que le surhomme puisse vivre, c’est la dernière volonté de l’homme ; comme le grand astre, nous aimons la vie et tous les océons profonds ; or tout ce qui est profond doit émerger au niveau de l’homme. C’est que la vérité ne doit pas être dans les profondeurs, et elle ne l’est pas ; le propre du surhomme est de la faire émerger là où se trouve l’homme. Et ceux là, les propriétaires des vertus et ses producteurs qui aiment marchander l’homme, doivent accepter leurs crépuscules et leurs disparitions. Cela nécessite un courage inédit, c’est ce courage qui est le plus brave des meurtriers ; le courage offensif ; et puisque l’homme est le plus courageux, il a vaincu tous les animaux, et ce n’est qu’avec le bruit des guerres que l’homme a dépassé ses douleurs. Or ce courage portait toujours le risque de la mort, car dans tout courage, il y a danger de mort ; mais malgré le sang qui y coule, l’homme n’a jamais cessé de s’insurger et d’attaquer, et c’est bien la marque en lui du surhomme, elle est ce nouvel humanisme qui règne dans notre monde contemporain et que Foucault a voulu montrer. L’homme ne dépasse une belle passion que pour en avoir une autre à sa place, et c’est la marque du surhomme, c'est-à-dire l’homme voulant.

Depuis longtemps, l’homme négligeait les petites choses, mais pour combien de temps doit-il encore se plier devant les petitesses ? La vertu transforme l’homme en médiocrité, il devient l’homme tout court, mais sa volonté de puissance persiste à l’offensive et l’insurrection, et c’est pour ça que la guerre et la révolution étaient des qualités humaines. Dieu était le pire des dangers pour l’homme qui n’a pu apparaitre qu’après avoir enterré dieu ; maintenant, il est le surhomme grâce à ça. Ainsi se réalisa la plus grande révolution que l’homme ait jamais connue, une révolution beaucoup plus importante que celle appelée par Marx.

Nietzsche avait vu, qu’avant de penser à n’importe quelle révolution, il faut d’abord envahir l’ordre de nos problèmes ; cet ordre se trouve dans l’homme lui-même, dans son intérieur. Les vertus et ses graves créateurs sont plus dangereux pour l’homme que n’importe quelles d’autres choses ; et quand il s’en débarrasse, il peut se guérir de sa lâcheté et récupérer sa souveraineté sur terre. Nietzsche ne fait ici que récupérer ce qui était la différence des grecs, c'est-à-dire la pensée de la tragédie.

En fait le surhomme est survenu depuis que l’homme est venu au monde ; et peut être que son moment le plus fort était celui où il a tué dieu et a déclaré la guerre contre les valeurs. Nous voilà maintenant devant le surhomme dans sa guerre contre un monde dominé par la technique. C’est ce que Foucault voulait dire lorsqu’il fait comprendre que la question qu’il faut poser ce n’est pas sur qui va reprendre l’ordre chez l’humanité avec la succession des espèces, mais plutôt quel genre d’humain il faut élever comme être qui va mériter ce future. Ce genre est déjà venu, non pas parce que c’est voulu, mais par pure coïncidence. On éduquait le contraire de cet homme, parce qu’on le craignait.

Nietzsche était ferme au sujet de dieu et des religions, ces deux êtres qui devaient disparaitre pour permettre à l’homme sain de venir, or l’homme sain n’est pas celui qui est contre dieu et la religion, mais plutôt leur prédateur, leur déconstructeur, qui va donner son mieux, l’homme régnant lui-même. On voit donc comment Nietzsche parle non pas seulement de la mort de dieu, mais d’une double mort, d’une mort simultanée de dieu et de l’homme. Mais si la mort de dieu ne pose pas trop de question et trop de peur, celle de l’homme se comprend très mal, comme cela était le cas avec Foucault dans « les mots et les choses », or, chez les deux, il s’agit de la même mort, sauf que chez Foucault, il y a une description de cette mort à travers l’évolution des savoirs qui ont entrainé la disparition de l’homme derrière l’être du langage.

Que reste-il alors de l’homme depuis qu’il détruit la morale et devient lui-même le chercheur et l’objet de recherche ? Et puisque l’homme est le créateur de la morale, il en est le destructeur : le bon est ce qui provoque chez l’homme le sentiment de la puissance, la volonté de puissance, la puissance elle-même. Le mauvais est ce qui vient de la faiblesse. Le bonheur sera donc ce qui augmente et accroit la puissance et le sentiment qu’un obstacle est en dépassement. C’est là, l’homme qui disparait pour donner en permanence l’homme voulu, de toutes façons, cet homme ne cesse d’apparaitre. La mort de l’homme est une mort qui se renouvelle interminablement, mais cette mort n’est que la mort d’une idée métaphysique sur l’homme, cette idée qui s’est construite dans le 17 ème siècle, et qui consiste à dire que l’homme est une valeur absolue et sacrée, mais les sciences humaines sont venues la contredire, il y a cependant un fil précieux et très fin entre Foucault et Nietzsche.

Lorsque Nietzsche refuse la notion de progrès, il veut dire par là que l’homme passe d’un état à un autre selon sa force créateur et destructeur, cette force ne conduit pas forcément à un statu meilleur par apport à ce que prétend la religion ou ce que prétend Hegel, mais elle le pousse vers la mutation sans que cela ne signifie une fin occulte déterminée et planifiée préalablement ; chez Nietzsche il s’agit de mutation et non pas de progrès: " regardez ! je suis celui qui doit toujours se surmonter " c'est-à-dire que l’homme est une énergie qui ne cesse d’exploser dans tous les sens. La meilleur qualité chez l’homme, c’est cette volonté de puissance, tout être humain est une volonté de puissance, cela implique dès le début une réévaluation de la vie et de l’homme. C'est-à-dire reposer la question des valeurs qu’on a souvent accordée à l’existence selon une nouvelle perspective. On est appelé à refaire et à reconsidérer l’échelon des interprétations, Nietzsche était le premier à faire cela : la liberté de l’homme.

La volonté de puissance comme interprétation de la vérité prend plusieurs dimensions, comme l’éternel retour et le surhomme, cela réfute toute pensée et cause métaphysiques ; nous interprétons le monde comme volonté de puissance, cette volonté n’existe pas en dehors de nous, elle est liée à notre interprétation. La volonté de puissance dans son sens général est la propriété de tout ce qui va devenir, aucune vérité ne se trouve en soi, et ne reste jamais constante puisque toute chose devient selon sa propre puissance. Être une volonté de puissance signifie, n’être jamais identique à soi, être plutôt emporté, poussé vers son extrême, l’existence est toujours une existence vers le plus. La volonté de puissance est un processus personnel, et puisque tout être est processus, alors il change selon sa propre force qui le définit, seulement cette volonté ne prend aucun sens traditionnel, c’est tout simplement cette force dans l’être à se réaliser.

Or l’homme est obligé de faire face à la vie avec ses contradictions, de là la tragédie. Foucault prend au sérieux cette qualité tragique de l’homme, mais il le fait en rapport avec la volonté de savoir ; c’est à partir de ce rapport qu’on comprend sa théorie sur le pouvoir.

La pensée allemande avait besoin de ce secouement que Nietzsche avait fait ; en fait, la dialectique de Hegel n’était pas suffisante pour enrichir la philosophie, ni le matérialisme de Feuerbach ; on avait besoin d’autres voix, plus farouches, rebelles et plein de passion. Nietzsche considérait que la pensée allemande est responsable de ce monde d’illusions 4 qui a entravé la vie des hommes ; il était convaincu que les allemands le comprendrait quand il disait que la philosophie est corrompue par le sang du prêtre, et Kant en était un exemple manifeste qui n’était pas trop différent de Luther ou Leibniz, les trois étaient la plus grande atteinte à l’acuité allemande.

On comprend de la critique Nietzschéenne à la pensée allemande 5, une révolution radicale du fait qu’elle a voulu annoncer le crépuscule de tous les idoles, et du fait qu’elle a voulu faire de l’homme le seul souverain sur terre, et donc responsable seul de lui-même et de son devenir. Il doit faire face à la vie, et doit se déclarer le créateur et le créé en même temps, c'est-à-dire l’existant fini qui doit mourir pour créer, et c’est là, l’éternel retour. Nietzsche est allé jusqu’à prononcer son grave verdict : l’histoire commence aujourd’hui même à midi, au moment même de cette mort de dieu. Cette philosophie offensive et incitatrice à la création est bien celle que Foucault a adoptée, et c’est à partir d’elle qu’il a regardé l’horizon de l’homme contemporain, présent dans la politique et par la politique qui est sa principale condition: C’est un nouvel humanisme.

Si j’insiste sur la critique de Nietzsche à la pensée allemande, c’est parce qu’elle est basique dans la formation de la philosophie de Foucault ; en fait voici les éléments essentiels de cette critique : 1- Nietzsche refuse la philosophie allemande parce qu’elle n’a pas pu se libérer de la pensée du moyen âge. 2- il voyait dans la philosophie allemande un vrai danger pour l’homme. 3- en déclarant la mort de dieu, il déclare la mort conjointe de l’homme. 4- il a refusé l’idée de l’homme négatif ou transcendant pour l’homme libre attaché à la terre, responsable de sa vie. Cela a permis à Foucault d’élaborer son projet qui consiste à problématiser la vie de l’homme ; il en a fait sa propre Ontologie qui ne compte que le présent.

Foucault a donc quitté l’humanisme classique pour un humanisme critique, militant et acteur 6. On a beau dire que la philosophie de Foucault est un anti-humanisme, mais ce n’était qu’une mauvaise lecture de cette philosophie, Foucault ne parle pas d’une mort physique de l’homme, mais d’une mort conceptuelle ; c’est une fausse idée sur l’homme qui a disparu. Par contre l’homme effectif, celui du terrain, acteur et responsable de son devenir, est l’homme réel, il n’a plus rien de transcendant, plus rien d’absolu, il est au contraire le seul acteur. Paradoxalement, cet homme qu’on vient à peine de découvrir est objet lui aussi des sciences, et par là même, il doit disparaitre comme valeur absolue pour être objet de sciences et de savoir ; il ne peut pas rester à la fois transcendant et objet de savoir, il faut alors qu’il quitte son statut transcendant, mais garder sa souveraineté dans la vie sociale, dans le champ politique. Et c’est bien pour cette raison qu’on voit Foucault s’intéresser aux questions les plus directes de l’homme : le pouvoir – la sexualité – la prison – la vérité – la morale – le savoir …etc. Ainsi l'humanisme classique a cédé sa place pour un humanisme critique.

TRIBAK AHMED


1- Nietzsche F. : « Ainsi parlait Zarathoustra » p.9.
2- Nietzsche F. : « Ainsi parlait Zarathoustra » p.157.

3- Nietzsche F. : « par-delà bien et mal » p. 96.[1]

4- Nietzsche F. : “ l’Antéchrist” p. 13.

5- Nietzsche F. : “ Fragments posthumes” 12. Trad. Hervier 1978. Gallimard

6- Dreyfus H. et Rabinow P. : « Michel Foucault : un parcours philosophiques. Gallimard, 1984.

13.10.07

Foucault et la généalogie



Foucault propose de prendre ses travaux comme des propositions dans leurs ensemble, et non pas comme des dogmes ou des confirmations ; pour lui, ses œuvres ne sont pas des lettres en philosophie, elles ne sont pas non plus des études historiques, mais plutôt des bribes philosophiques dans des ateliers historiques 1.

Je ne pense pas qu’il ait un changement radical dans l’archéologie, ni même un changement superficiel ; je crois plutôt qu’il s’agit de concepts opératoires qui prennent leurs cours selon la nature du travail à faire ; cela explique la vigilance épistémologique de Foucault, c’est une épistémologie qu’on peut appeler : une épistémologie régionale ; mais ce qui reste pour lui constant, c’est exactement deux choses : le discours et la rupture.

Foucault trouve que la généalogie couvre trois domaines : une Ontologie historique qui définit notre rapport à la vérité et c’est elle qui nous permet d’être des sujets de savoir. Une Ontologie historique qui définit notre rapport avec le pouvoir et c’est elle qui nous permet d’être des sujets actifs. Une Ontologie historique sur notre rapport avec la morale et c'est elle qui nous permet d’être des sujets de morale. Il y a donc, trois axes possibles pour la généalogie qu’on trouve dans « l’histoire de la folie », dans « les mots et les choses » et dans « surveiller et punir ». Cela veut dire pour moi, que le cadre général des travaux de Foucault, c’est la généalogie. L’archéologie travaillait comme un outil dans la généalogie et elle avait pour fonction, l’analyse des savoirs, loin de la notion de pouvoir et de la morale. Depuis « les mots et les choses » Foucault présentait son travail comme une archéologie des sciences humaines, et comme une généalogie nietzschéenne.

La généalogie est une recherche historique qui s’oppose à l’usage métahistorique, aux idées idéales et aux abstractions téléologiques, elle s’oppose au récit historique unidimensionnel et à la recherche des origines. Elle travaille à partir de la pluralité, de la dispersion des événements ; elle ne prétend pas la récupération du temps pour la reconstitution de l’histoire, mais plutôt, la récupération des événements dans leur particularité. Le savoir n’est plus seulement du genre des savoirs comme cela été le cas avec l’archéologie, mais plutôt du genre de la volonté et du pouvoir ; l’histoire dans cette perspective, est devenue une série de volontés qui s’échangent la violence pour s’approprier le savoir et le monopoliser, et par là, elle est devenue un jeu de stratégie qui exerce son effet sur la puissance et le pouvoir. Dans « les mots et les choses » le souci était les savoirs, leurs façons d’agir et les règles qui définissent son action, alors que dans les autres ouvrages, ce n’étaient pas les discours dans leurs organisations, leurs tableaux et leurs séries, mais un discours précis dans son rapport avec le savoir et le pouvoir. Ces deux concepts ne se dissociaient pas dans tous ses travaux ; et si on voit dans son cours inaugural : « L’ordre de discours », on trouve qu’il a insisté sur le discours lui-même dans sa spécificité et ce qui le marque par la puissance, où s’effectuent les opérations d’exclusions et d’adaptations au sein des techniques que Foucault a bien montrées.

L’archéologie est donc restée présente en prenant place au sein de la généalogie qui a ouvert largement son cercle ; or l’horizon dans lequel elle a travaillé n’a fait que se renforcer dans le discours ; et si elle s’est intéressée au pouvoir, c’est pour le prendre comme discours. Foucault voyait que la question qui s’impose, c’est la raison pour laquelle on dit que nous sommes réprimés avec tant d’émotion et de haine sur notre passé, sur notre présent et sur nous mêmes 2. Il n’exprime pas ici un travail de sociologie, mais un effort de l’interprétation dans lequel se maintiennent les discours sur la sexualité pour une nouvelle interprétation ; en plus, il ne s’intéresse pas si il y a effectivement un pouvoir ou non, puisque ce qui l’intéresse en premier lieu, c’est ce qui a été dit sur le pouvoir. Le discours et le savoir restent parmi les soucis du généalogiste, et s’il occupait une place privilégiée, c’est parce qu’il nous permet d’écrire ce qui a été dit sur la sexualité à partir de l’âge moderne 3.

Ce qu’il faut tenir en compte, c’est qu’à ce niveau au moins, il ne faut pas parler d’une rupture avec l’archéologie, mais plutôt d’une modération de l’horizon. Il est vrai que l’archéologie ne se définit que comme un élément d’interprétation généalogique, mais toute l’analyse insiste sur les mécanismes de la production des discours.

C’est qu’enfin, Foucault lie le niveau du discours avec deux autres niveaux : la production du pouvoir et la production du savoir. L’analyse archéologique ne s’effacera pas quand elle rejoint la généalogie. Ce qui intéresse Foucault, ce n’est pas la société comme institutions économiques ou politiques, mais la société comme espace de discours et de vérité, pour lui, son sujet général, ce n’est pas la société, mais le discours vérité / erreur 4. Il s’agit de faire l’histoire de la sexualité à partir du présent, cette technique consiste donc à faire une Ontologie du présent en traversant les mécanismes du pouvoir et les pratiques de constitution de soi.

Bref, la généalogie analyse les pratiques culturelles qui ont contribué dans la constitution du sujet comme sujet et objet en même temps. Elle montre que toutes les pratiques culturelles ne sont finalement que des interprétations, c’est pourquoi, elle doit prendre le présent non comme une unité isolée de son passé, mais comme une série liée à tout ce que la structure culturelle a construit comme valeurs et critères. L’analyse tourne vers l’élargissement du cercle que l’archéologie avait suscité sans le pousser à son extrême, c'est-à-dire l’Ontologie du présent où le généalogiste devient lui-même un élément dans la série de l’interprétation, alors qu’avant, il se plaçait hors de cette opération au nom de la coupure archéologique.

C’est une méthode qui met le sujet analysant dans la stratégie de la production du savoir et ne cesse de l’interpréter et de le réinterpréter dans ce jeu infini de la réflexion. En somme, le présent se montre comme horizon et perspective où se refait, non pas la reproduction des valeurs du passé, mais les édifices du sujet dans tous ses niveaux culturels et moraux. Il est vrai qu’on peut retourner cette technique à ce qu’a fait Foucault dans « les mots et les choses » quand il a suivi les mécanismes complexes avec lesquels, l’identité occidentale a construit son discours hors de l’autre et du différent, mais la question maintenant se prolonge à ces structures morales pour déconstruire ses discours.

Ce qui intéresse Foucault à partir de là, c’est la production de l’histoire de l’ensemble des valeurs avec lesquelles, le sujet s’est positionné dans l’espace où se croisent pouvoir et vérité. Il faut donc voir comment les concepts de l’archéologie se font à nouveau dans le champ de la généalogie. Dans « surveiller et punir » Il n’est plus question de voir ce qui a été dit sur la punition et la prison, mais de voir les autres niveaux de la stratégie, c'est-à-dire l’ensemble des choix, puisqu’il s’agit de faire l’histoire des pratiques rationnelles ou plutôt le rationalisme des pratiques 5. Et puisque le concept de rationalisme provoque beaucoup ambiguïté, alors la meilleur façon de diagnostiquer le pouvoir doit se faire à travers la réduction de ce phénomène à un ensemble de stratégies, en plus cela ne doit pas se faire en terme d’idéologie, mais à travers une analyse des séries de stratégies.

Or la notion de stratégie a trouvé une réussite dans l’analyse archéologique à cause de son rôle dans le découpage des discours. Il faut découper l’appareil du pouvoir en ensemble de choix techniques après les avoir isolés l’un de l’autre, et là nous ne sommes pas sorti de l’analyse régionale ; nous trouvons les mêmes caractéristiques archéologiques quand on voit les manières avec lesquelles on traite l’événement historique.

En fait, malgré le rapprochement entre Foucault et les annales, cela ne l’empêche pas de reconsidérer certains concepts historiques qui sont restés négligés à cause de l’influence de cette école sur lui. Parmi ces concepts, celui de la formation de l’événement, c'est-à-dire les manières avec lesquelles on coupe les faits historiques, c’est une perspective puisqu’elle questionne l’événement dans son simple niveau, en s’appropriant et en découvrant ses vides et ses imprévus, alors qu’on n y voyait que l’évident. Dans ce cadre, Foucault, ne cessera pas de poursuivre les événements dans leurs détournements et leurs dispersions, même si son intérêt est la généalogie du sujet et l’ordre de la vérité.

L’analyse archéologique appartient toujours à la philosophie de l’événementiel, et Foucault ne fait que réadapter cette technique dans ses derniers ouvrages. Il est vrai aussi, qu’il s’est approché de Max Weber, mais il est resté attaché à son type de savoir ; même s’il étudie la technologie du pouvoir, il reste en cohérence avec la ligne qu’il a tracée depuis le début des années soixante, c'est-à-dire la recherche de nouveaux horizons dans l’analyse des sciences humaines.

De ce point de vue, la déconstruction des structures punitives et celles du pouvoir en général peut contribuer à la compréhension des formations et des développements de quelques formes de savoir comme les sciences humaines. Dans " surveiller et punir ", il montre qu’il fait une approche globale où s’interfèrent les technologies de pouvoir et l’humanisation des structures punitives, et au lieu d’une histoire du code pénal et des sciences humaines, il faut, selon lui, chercher s’il y a là, une base commune, et s’elles émanent d’un processus de formation épistémologique et juridique 6.

En fait, Foucault a sauvé l’Histoire comme espace de recherche et de réflexion, parce qu’il n’était plus possible de la penser en terme de concepts métaphysiques qui ont régné depuis des siècles ; il a réussi à lui redonner sa considération et à l’approcher de la science et du rationalisme ; or, il faut dire que cela est due à trois facteurs : 1- l’influence positive de Nietzsche et de Heidegger. 2 – le progrès des sciences humaines et des sciences techniques. 3 – l’évolution de la pensée épistémologique.

Il faut voir aussi la tradition française dans l’épistémologie, il s’agit là de Bachelard. L’épistémologie s’intéresse aux savoirs scientifiques et leurs degré de scientificité ; mais vue cela, elle prend l’Histoire comme matière de base dans l’analyse ; cela ne veut pas dire que toute l’histoire des sciences est philosophique, mais cela veut dire que toutes les philosophies du concept en étudiant la science dans son historicité, ne se limitent pas à la description, mais bien plus que cela.

L’épistémologie distingue entre la pensée philosophique et l’analyse de l’histoire des sciences, cette dernière pose une vraie question à la philosophie, c'est-à-dire la question de la scientificité. Pour elle, la science est un discours sur les critères et est aussi le lieu de la vérité, cependant elle est productrice de la rationalité. Et si la raison a une histoire, alors l’histoire des sciences est la seule capable de déchiffrer son chemin. L’épistémologie est une philosophie qui étudie la question du rationalisme à travers la science comme un acte rationnel, pour cette raison on comprend la nécessité d’une épistémologie régionale.

On peut cependant dire que l’archéologie est un investissement du champ des sciences humaines, elle suit son propre chemin, mais toujours dans l’espace de l’épistémologie ; de cette façon elle a retiré l’histoire de son sens vague, vers un sens épistémologique. Il y a un élément commun chez tous les épistémologues, c’est leur refus de Hegel.

On peut dire que ce qui rassemble tous les épistémologues est : 1- le refus de l’Hégélianisme. 2- l’histoire est devenue pour eux un moyen et non pas une fin. 3- l’histoire est objet d’empirisme selon la nature de chaque domaine. 4- la libération de l’humanisme classique.

Cependant, Foucault reste le premier à introduire l’histoire dans le champ des sciences humaines ; c’est vrai, elle reste une pseudo science, mais toujours loin de l’Hégélianisme. La philosophie et l’histoire chez Foucault sont, le domaine politique et historique où s’effectue l’Ontologie du présent, l’histoire de la folie parle des illusions de la psychiatrie, du discours et de la pratique médicale qui mettaient les individus dans des espaces d’enfermement et d’emprisonnement, elle parle des contraintes, elle montre comment la raison occidentale a traité la folie, les prisonniers, comment elle a tracé le partage entre les gens, et comment elle a créé l’exclusion.

TRIBAK AHMED

TRIBAK AHMED

1- Foucault M. : « L’impossible prison » Textes réunis par Michelle Perrot, Ed. Seuil, Paris, L’univers historique 198, p. 41.
2- Foucault M. : « La volonté de savoir » Gallimard, p. 16.
3- Foucault M. : « L’impossible prison » p. 55.
4- Foucault M. : « L’impossible prison » p. 55.
5- Ibid. p 34.
6- Foucault M. “ surveiller et punir” Gallimard, p. 28.

26.8.07

Foucault et Nietzsche : 3 – Le pouvoir :



La volonté de puissance :

Les concepts de Nietzsche sont indissociables, on ne peut pas les voir séparément, cela emmènerait à une confusion totale, c’est que volonté de puissance, surhomme et éternel retour sont trois choses qui ne se comprennent qu’en étant ensemble.

La volonté de puissance dans l’homme, est enracinée, elle est sa fin, à laquelle, il ne peut jamais renoncé ; il se met dans un enjeu extraordinaire et interminable, pour la réaliser, même si cela menace sa vie. Cette volonté de puissance est elle qui anime les gens et l’histoire. L’histoire ne bouge que par cette puissance qui crée les événements, les lois, la morale et les valeurs. Et quand l’esclave ou le vaincu parle devant le vainqueur, et lui supplie la pitié, il ne fait que exercer sa puissance pour renverser les rapports de forces et les statuts. Derrière les mots d’amour et de pitié, gite une puissance mortelle pour la victoire et le trophée. Il en résulte que les valeurs morales sont une création de l’homme, ou plus tôt, produits de conflits des volontés de puissance qui ne s’arrêtent jamais.

Les grecs montraient clairement cet aspect de l’homme ; la guerre, la victoire, la confrontation et la valeur honorable qu’on accordaient a ces valeur, toute cela étaient chez les grecs anciens, les plus importantes vertus que l’homme devait chanter, et sans doute, les récits de Homers étaient des symboles de cette vision qui considérait le monde comme une scène de lutte, de défi et de l’affrontation de la mort. L’homme grec est allé jusqu’à l’affrontation des dieux et de l’accouplement avec eux.

Le dieu grec était très proche de l’homme jusqu’à avoir des liens de paternité avec lui. Cela veut dire que l’homme grec a approché les dieux ; ce n’est donc pas imprévu que le christianisme vint de cette tradition culturelle, psychologique et sociale. D’autres parts, cette vision sur les dieux a facilité le chemin pour l’apparition de la philosophie, c’est que la philosophie ne peut pas naitre d’une pensée vaincue et soumise, mais plus tôt, d’une pensée qui croit à l’homme et à sa volonté de puissance. Pour cette raison, Nietzsche s’est dirigé vers la mythologie grecque, il y a trouvé tous les gènes culturels et philosophiques de la pensée occidentale. Je suis, disait Nietzsche, Dionysos contre le crucifié. Il savait parfaitement ce qu’il disait et de quoi, il avait affaire ; il avait consacré toute sa vie à contredire fortement le christianisme et les valeurs qui consistent à parler d’un dieu posant des lois à l’humain et lui demandant de se soumettre et de déclarer l’échec devant les lieutenants de dieu et leurs institutions. La généalogie est un retour à la pensée grecque, et ce n’est une coïncidence, mais c’est plus tôt, une recherche chez ceux-là, pour y voir ce qu’ils ont créées comme lois, or Dionysos habillé par Nietzsche, est une démystification de toute cette histoire culturelle qui a dérangé la vie humaine. La volonté de puissance n’est pas une énergie, elle est cette nature insurmontable et irréductible chez l’homme.

Le surhomme :

On avait confisqué à la civilisation grecque son immédiateté, et elle a été soumise à une déformation qui lui a ôté ce qu’elle avait de noble, surtout lorsqu’elle faisait place à l’homme à coté de dieu. Pour cette raison, il y avait une grande nécessité à cette violence expressive de Zarathoustra : je vous enseigne l’homme… jadis, vous étiez des singes et maintenant, vous êtes plus singe que le singe lui-même…tous les verts ont donné leur forme extrême. Et vous, vous voulez retourner à l’animal au lieu d’aller vers l’homme ; le singe est la honte de l’homme …je vous enseigne le surhomme.

Le surhomme est cet homme qui doit récupérer sa liberté vis-à-vis de la morale du ressentiment, et vis-à-vis des valeurs de soumission devant les créateurs des valeurs ; c’est lui l’homme qui a compris que nul ne le dépasse et qu’il doit renverser les statuts du ciel et de la terre pour que cette dernière reprenne la parole.

Le surhomme est cet homme qui sait que la vie est tragédie et guerre interminable contre la nature et ses secrets, et se contente de cela, c’est l’homme de l’optimisme tragique. C’est lui qui sait que la vérité et son invention et rien d’autres, c’est lui le constructeur des valeurs, et il en est le destructeur chaque fois qu’il y a nécessité pour cela. Il est temps pour que les lieutenants de la religion et les philosophes, créateur de mensonges, de quitter la scène pour donner lieu à l’homme, le seul créateur. Le surhomme n’est pas un concept ou une valeur absolue ou un être à venir d’un néant ; il est tout simplement ce que l’homme et ce qu’il doit être, après que les mensonges se sont démolis ; c’est l’homme qui entre à la scène pour la victoire quelque soit le prix.

C’est ce que Nietzsche a voulu dire et a montré, après avoir compris l’aspect directe des anciens grecs et le recul de la valeur humaine devant les productions des sages qui ne visaient qu’une seule chose : la volonté de puissance chez l’homme.

L’éternel retour :

Sans doute, ce mot de retour a été la cause de beaucoup de malentendu à propos de Nietzsche. Mais ce malentendu revient au fait qu’on n’a pas essayé de comprendre la notion de temps chez Nietzsche. La notion de retour fait référence à la notion ordinaire de temps, l’idée de l’éternel fait aussi allusion à l’absolu ; mais cette allusion n’a aucun rapport avec Nietzsche.

Chez Nietzsche, il n y a pas de retour, ni d’éternel ; pour qu’il ait un retour, il doit y avoir quelque chose qui retourne, mais cette chose n’existe pas. Ce qui retourne c’est cette chose qui a différencié, qui est devenue différence ; ce qui retourne c’est donc la différence ; il y a une répétition de la différence et non pas l’identique ; la différence retourne et non pas l’identique. L’identique ne retourne pas, mais c’est le différent qui retourne éternellement. Nous sommes devant une différence qui ne cesse de retourner. L’éternel retour est le retour de la différence qui est pluralité ; et lorsque Nietzsche parle d’éternel retour il ne parle que de cela. On voit donc comment Foucault a posé la question du présent de l’homme à partir de l’esprit Nietzschéen.

On peut dire vraiment qu’il y a la pensée d’avant Nietzsche et la pensée d’après Nietzsche, et cela veut dire qu’il y a un changement radical au niveau de la pensée philosophique, et qui se caractérise par le détachement total vis-à-vis de la philosophie de Hegel, qui elle, est restée naïvement dans la philosophie de sujet, la philosophie de la présence, dans la notion Aristotélicienne du temps. Nietzsche est le point où s’est faite la rupture dans la philosophie ; d’où l’arrivée des philosophes de danger, comme Foucault, Derrida, Deleuze. Foucault a pris de Nietzsche, sa généalogie, sa vision sur l’homme, sa critique de la morale, sa vision sur la puissance, sa vision sur l’identité et sur la différence …etc. Ainsi, Foucault est le prolongement de Nietzsche dans cet horizon qui est la pensée post-moderne.

TRIBAK AHMED

19.8.07

Foucault et Nietzsche : 2- La problématisation



Foucault tenait un sérieux dialogue avec cette longue discussion qui tournait au sujet de la notion de profondeur 1 ; notion illusoire que Nietzsche avait si tant débattue 2, ce dernier refusait toujours cette fausse notion de profondeur des idées et de l’inconscient comme étant une arrière existence, cette profondeur qu’il a montrée lui, qu’elle n’était qu’une invention fausse des philosophes, de Platon à Hegel.

Nous sommes là, devant une conception nouvelle de ce que voulait représenter en effet pour lui l’illusion d’une profondeur 3, ou de l’idée d’une profondeur, nous sommes aussi devant un refus catégorique de cette illusion qu’on ne peut plus accepter ; Nietzsche avait la tâche de détruire cette illusion, pour une pensée libre et vigilante, juré à mettre en dehors de la pensée tout ce qui relève ou fait référence à cette idée trompeuse, même si cela entrainait la destruction de la figure fragile de l’homme. Il n y a qu’un seul monde, c’est celui de la terre, et ce que nous nous faisons sur ce monde est tout simplement notre propre interprétation, et c’est bien cette interprétation qui fait la pluralité des sens. Or, ce concept d’interprétation change tout dans l’horizon de la pensée philosophique : la vérité est plurielle, nulle vérité n’est absolue ; cependant, le devoir du philosophe est devenu celui de dire vrai, et c’est cette notion que Foucault prend et adopte avec beaucoup de détermination. Il ne s’agit plus de dire la vérité, mais plus tôt de dire vrai. C’est donc toute la base métaphysique de la philosophie classique qui est renversée.

Mais finalement, pour revenir à la question de l’homme et de l’humanisme : où est le problème, s’il est question de rendre à l’homme, chez Nietzsche et chez Foucault, sa vraie valeur au détriment des illusions que la pensée philosophique classique a produites et a inculquées pendant des siècles ?

Et si cette mise en valeur de l’homme n’empêchait pas ce dernier d’être lui-même objet de son savoir ? C'est-à-dire que l’homme dont Foucault a signalé la mort et la disparition, n’est que l’homme conceptuel transcendant à l’expérience et entouré de valeurs illusoires, c'est-à-dire l’homme de la philosophie classique. Alors que l’homme, celui de Nietzsche et de Foucault, comme valeur sur terre est bien celui à qui on a redonné la valeur, qu’on a revalorisé ; au lieu des idées fausses saturées de notions de profondeur, Foucault s’est dirigé vers les surfaces où gîte l’homme.

La notion de profondeur prétend la recherche de la vérité réelle dans le fond, mais Nietzsche a montré comment la croyance à cette profondeur entraîne la soumission et la croyance aux faux masques du réel, où celui qui interprète le réel doit descendre vers le bas de la ligne verticale, pour montrer que ce fond est contrairement à ce qu’il montre, c’est que ces profondeurs ne sont enfin que le secret absolu de ce qui est à la surface. Or ce que Foucault a fait, c’est exactement ce travail qui consiste à montrer que le fond n’est que la surface elle-même.

Ce que Foucault s’est décidé de faire dans son parcours, c’est de considérer que la pensée empirique, est une problématisation, et que le savoir, le pouvoir et le sujet, sont les trois piliers de toute problématique ; il n’est pas parti de la raison occidentale, mais de son revers, parce que le cogito ne permet de penser, que ce qui est pensable, or lui, il tente de penser l’impensé dans cette raison, en cherchant dans ce qui n’a jamais été objet de recherche. De toute cela, on comprend ses ouvrages : « Histoire de folie », « Les mots et les choses », « Surveiller et punir », « L’ordre de discours » …etc.

Pour Foucault, la seule chose qu’il faut chercher dans l’histoire des sciences en France, comme dans la pensée critique Allemande, c’est le justement et la mise en question, de cette raison qui porte en elle et dans sa structure, l’histoire des dogmes. Cette raison donc, ne peut pas nous libérer qu’à la seule condition de se libérer elle-même. C’est pourquoi, il était quasi important d’aller vers ces choses qui sont restées pendant très longtemps, loin de la recherche et de la réflexion.

Dans ce chemin, il n’a fait que reprendre le même chemin de Nietzsche, et qui consiste à déconstruire et à questionner les axiomes et les évidences. Il disait lui-même, quand je parle de Kant et Spinoza, Pascal ou Goethe, je sens leur sang jaillir dans le mien. Schopenhauer et Paul Rey étaient sans doute au début, ceux qui l’ont poussé à penser l’origine de la morale : Quelle est cette origine à laquelle il faut réduire ce que nous avons comme idées sur le bien et le mal ? Et pourquoi l’homme avait-il créé ce double critère et pour quelle raison ? Quelle est la relation de ces critères avec l’évolution de l’homme ? Sont-ils deux simples principes passagères résultant de la misère de l’homme où sont-ils signes de joie et de puissance chez lui ?

L’homme est au centre de la philosophie de Nietzsche, et Foucault a dirigé toute sa philosophie sur le même centre d’intérêt, en problématisant le présent, c'est-à-dire, en en faisant une problématique 4, et c’est pour cette raison qu’on l’appelle le philosophe de présentisme ou le philosophe en acte. Ce sont les concepts de Nietzsche : volonté de puissance, surhomme et éternel retour, qui ont donné chez Foucault sa philosophie sur : Le pouvoir, la vérité, la généalogie, l’archéologie, l’humanisme critique …etc. Cela en plus de l’influence de Heidegger sur d’autres niveaux.

Je pense qu’il faut cesser de voir dans la philosophie de Nietzsche un nihilisme dont je n’ai pas trouvé de trace ; dans Zarathoustra, comme dans tout les autres ouvrages, je n’ai trouvé que la valorisation de l’homme et l’appel à la vie et au savoir vigilant ; Foucault a bien compris cela, et en a tiré sa philosophie sur le pouvoir et sur l’histoire des mensonges, appelant l’homme à mieux connaitre les astuces de pouvoir et ses effets, pour mieux créer et faire la vie, où l’individu peut trouver sa place.

TRIBAK AHMED

1- Foucault M. « L’ordre du discours » Gallimard 1977.

2- Foucault M. « Nietzsche, Freud, Marx » Minuit 1967.

3- Nietzsche F. « Aurore » Idées/Gallimard 1970.

4- Ewald F. « La philosophie en acte » Magasine littéraire, n°435 oct. 2004.

11.8.07

Foucault et Nietzsche



Dans cette série d’articles, il est questions d’analyser le rapport entre Foucault et Nietzsche, ce rapport qui est décisif dans le parcours philosophique de Foucault, et que lui-même n’a pas cessé de dire. J’essaierai donc d’aborder en plusieurs articles ce rapport.

Foucault et Nietzsche : 1- L’humanisme

Foucault disait à propos de l 'humanisme, qu’il ne fallait pas confondre entre la chaleur fausse, résultant des concessions, et la froideur appartenant aux vraies affections. Les vrais écrivains pour lui étaient Nietzsche et Sade qui critiquaient l’homme très sévèrement, mais qui étaient les plus riches en affectivité 1.

Je pense que Foucault ne s’est pas arrêté à la limite d’apprécier Nietzsche, mais il a assimilé le rapport de Nietzsche avec l’homme et le statu tragique de ce dernier qui fait face à face à son destin, et sa lutte interminable pour la vie. Il ne s’agit pas pour Nietzsche de surestimer l’homme ou de le sous-estimer, mais il s’agit de constater son statu contradictoire, d’une part il est le sujet, et d’autre part, il est le chercheur, il est le jugé et le jugeant, cependant comment garderait t-il son objectivité et sa rigueur scientifique. Il est le destructeur et le constructeur, l’esclave et le seigneur.

Depuis des siècles, l’homme fût le prisonnier des valeurs impérialistes qu’engendrait la philosophie classique dont le maître reste toujours Platon ; et aussi, il est temps pour lui de jouer son rôle naturel de se gérer lui-même, et de créer ses propres valeurs qui seront convenables et conformes à sa volonté, que nulle volonté n’existe en dehors d’elle, volonté de puissance, volonté d’aboutir à son extrême. Sans doute, cet amour pour l’homme est exactement lui, qui fait de Nietzsche ce philosophe dont la sensibilité et le sens révolutionnaire est si haut et si noble ; refusant tout ce qui a été dit et produit avant lui sur les valeurs humaines fausses et dégradante.

L’humanisme de Nietzsche est si fort qu’il suggère deux trajectoires parallèles, mais non contradictoire qu’on a souvent laissé entendre par ses critiques, son humanisme offensif et critique, si violent, sans détours à l’égard de l’homme qui n’a pas su se respecter et se valoriser comme il se doit. Il l’incite à mériter son statu de créateur. Cet humanisme a été mal reconnu et mal compris, il n’a pas bénéficié de sa vraie valeur qu’après un siècle.

Foucault avait compris ce qu’il y a chez Nietzsche comme valeurs courageuses et dignes de respect total, et il les a adoptées ; c’est pourquoi, et à partir d’elles, il a posé les questions sérieuses et violentes qui intéressent l’homme et son futur, à partir de ce qui court au présent. Tout ce qui dérange l’évolution de l’homme doit disparaître, autrement dit, l’homme doit atteindre son sommet, même si ça menace sa vie ; c’est que l’objectif naturel et extrême de l’homme est de se distinguer de sa nature primitive et innofonsive, et de réaliser ses victoires sur la nature et sur lui-même.

Vous l’appelez volonté de vérité, disait Nietzsche en s’adressant aux philosophes, cette vérité qui vous pousse, ô grands sages parmi les sages, à créer des valeurs, mais c’est une vérité de puissance ce qu’elle est, vous avez créé des valeurs et vous les avez imposées aux gens en leur donnant de jolis noms ; cette vérité doit disparaître ! il faut tout détruire car nous avons beaucoup de choses à construire même si cela appelle des souffrances pour nous, car, cacher des vraies vérités est pire, et les vérités que nous cachons deviennent poison, que tout se détruise alors, cria Nietzsche 2.

Dans ce texte, qui est d’une extrême importance, nous trouvons le plus dur de ce que Nietzsche avait prononcé, en critiquant toute l’histoire de la philosophie et ce qu’elle cache en elle de faux et d’illusoire. Il ne s’agit pas d’un appel poétique, mais d’un cri aigu, adressé à l’homme pour se dépasser et dépasser l’histoire des mensonges, et renverser l’histoire des illusions que les philosophies avaient apportées à l’homme. Et ce pour placer l’homme à la place de dieu qui a longtemps régné, empêchant l’homme de progresser.

Pour cette raison, je crois que le philosophe qui a le mieux rendu à l’homme sa valeur et sa liberté de toutes les contraintes est bien Nietzsche, lui qui a été, à tord, considéré comme nihiliste. Je peux dire là, que Nietzsche a été sans doute, le philosophe fondateur du nouvel humanisme post-moderne. C’est pourquoi, je considère que Foucault était l’un des premiers à remarquer cela, c'est-à-dire, à remarquer cette mutation de l’humanisme basé sur les illusions à l’humanisme critique, courageux et riche en affectivité. A partir de cet appel constructif chez Nietzsche, basé sur la vigilance, Foucault a pu poursuivre le chemin, mettant l’homme face à lui-même, sans avoir besoin aux valeurs trompeuses et majestueuses que Nietzsche avait dévoilées comme je les ai citées au début de cette article.

Au lieu de l’humanisme d’obéissance, Foucault a préféré construire un humanisme basé sur la froideur qui distingue les philosophes des systèmes ; il a préféré l’humanisme réaliste qui décrit la réalité et la décamoufle, et incite au changement, insistant sur le rôle majeur de l’homme dans la vie, l’homme créateur, au lieu de l’humanisme exagéré qui transforme l’homme à l’état négatif ; il ne faut donc pas confondre la soumission chaleureuse des utopistes à la révolution des philosophes des systèmes. Je pense ainsi, qu’il faut penser à la politique en parlant de l’opposition qui met Foucault en face de ses critiques, eux qui étaient encore sous l’influence du Marxisme et de l’existentialisme de la fin du vingtième siècle.

En général, l’homme occidental avait déjà répudié la théologie du 19ème et 18ème siècle, et l’a mise dans un lieu limité et a appelé cela le laïcisme. Mais les marxistes rêvaient encore d’un humanisme libérateur de l’homme, or ce marxisme n’a pas franchi un pas que pour donner un système totalitaire, plus despotique, plus violent. Les existentialistes n’étaient pas mieux à ce propos, ils sont restés prisonniers de leurs cercles étroits ; ce explique le rejet total qui a été exprimé à l’égard de Foucault.

TRIBAK AHMED.

1- Foucault « archéologie de savoir » édit. Gallimard.

2- Nietzsche : « Ainsi parlait Zarathoustra » édit. Gallimard.

31.7.07

Relation homme et femme




« les instincts qui ne se libèrent pas, retournent contre nous » Nietzsche.

Je pense en général que, non seulement la notion de vie conjugale est dépassée, mais aussi la notion de vie de couple. La problématique est beaucoup plus compliquée pour la régler par une théorie ou la réduire dans un simple code juridique. La relation homme/femme pose une série de problèmes à plusieurs niveaux, à titre limitatif, on peut dire qu'il y a trois niveaux dans cette relation : 1- Le niveau conjugal. 2- Le niveau affectif. 3- Le niveau sexuel.

1- Le niveau conjugal : C'est ce niveau établi par l'état depuis son apparition, et durant l'histoire, et aussi selon les cultures, il a pris des formes toujours différentes et relatives.

2- Le niveau affectif : C'est ce niveau amourologique, sentimental qui s'installe entre un homme et une femme, où règnent émotion, attraction, dépendance, ...Or il est vain de vouloir comprendre scientifiquement comment cela arrive et pourquoi ? C'est même irrationnel, c'est à dire incompréhensible, ou tout simplement, ça échappe à la raison.

3- Le niveau sexuel : C'est ce niveau où il est question de manifestations corporelles, où il est question d'envie charnelle, de déduction, d’attraction. On peut bien distinguer entre deux qui se contactent formellement pour exercer un contact sexuel pur et simple, et deux qui se rencontrent pour parler, échanger des mots d'amour et faire ou non le sexe.

Il est presque impossible que les trois niveaux se réunissent chez un couple ; un ou deux niveaux restent toujours absent dans le même couple, ou alors disparaissent avec le temps. Cela veut dire, que la structure de mariage n'est pas capable d'assurer tous ces niveaux, d'où l'échec de cette structure comme on peut voir et recenser dans la vie sociale des gens Le mariage est donc ce lieu il est question d'organiser, de canaliser , de mettre en ordre quelconque relation homme et femme, de là, le commencent des maux et des souffrances, parce qu'une fois marié, on est obligé de se soumettre à des règles limitatives de la vie intime de chacun, et de sa liberté. Personne n'est capable d'offrir à son partenaire une durabilité infinie et dans l'affectivité, et dans la sexualité et les éléments de la conjugalité. On peut bien réussir un niveau ou peut être deux (c’est peu probable), mais jamais les trois niveaux.

La vie, strictement conjugale, est plus favorable pour une continuité plus longue, et souvent à partir d'un compromis sous-entendu ou caché .Quelqu'un peut-il dire et prétendre qu'il va assurer une affinité à l'autre dans l'envie sexuelle et l'affectivité !? Ce serait ou bien un dire simpliste, naïf même, ou alors une hypocrisie flagrante. Ce qu'on a beau aimer appeler « infidélité » se trouve basiquement au fond de nous en tant que phénomène naturel et vital, très positif même pour notre existence.

La vie affective, a par contre une durée de vie limitée et moins résistante pour la continuité, elle peut être plus longue, comme elle peut être très courte, car l'effet du quotidien, et l'effet de l'évolution de la personnalité font un impacte fort et déterminant, ou alors cette affectivité change et se déplace dans sa forme et sa portée ; dans un couple homme et femme, la relation est vouée à devenir une animalité, une fraternité, ou alors une haine ! L'élément sensuel et séducteur diminue ou disparaît complètement pour laisser place à ce qui est cité ci-dessus. Plus un couple dure, plus la séduction et la sensualité se dégrade." L'infidélité" ou tout simplement, la volonté d'être mieux, de sentir encore le plaisir et ses frissons, ou pour mieux dire, la volonté de ne pas mourir, prend normalement place et règne pour la continuité de l'individu dans la vie.

La vie sexuelle, a une autre dimension beaucoup fragile, relativement plus courte dans la vie des gens. Elle est de nature réactionnelle, c'est-à-dire, une réponse psycho biologique à un besoin, lui aussi imprévu, répondant à une envie plus profonde dans notre vie intérieure. Dans une situation donnée, la réaction envers un charme devient persistant et imposant. Cette réaction qui fait bouger les organes et le corps de l'individu est incompréhensible, mais vraie ; tellement vraie qu'elle pousse vers l'exercice et l’accomplissement. Mais cette réaction, selon la nature de l'être humain, est très riche et plurielle. Un homme ou une femme, peut bien avoir l'envie féroce de faire le sexe sans pour autant avoir la moindre sensation affective !

Voilà pour le moment cette introduction , pour passer aux différents paramètres de cette problématique qui est la relation homme et femme, et je parle là, de cette question précise sans minimiser, ni valoriser les autres aspects de cette relation.

1 - Le niveau conjugal :

Cette vie est supposée permettre à deux êtres humains des atouts et acquis érotique et sexuel et une stabilité durable à ce niveaux, ainsi qu’un bonheur merveilleux et assuré.

Mais cela reste tout de même implicite dans les discours énoncés par les religions et les autres systèmes de la même nature. Aucun texte religieux ne prononce clairement, que l'objet du mariage est la sexualité et l'affectivité, on y parle plutôt de fécondation, de production de l'espèce humaine, de la vie saine, de l'ordre ...; on peut déceler quelques fragments parlant du sexe, mais c'est toujours selon des règles limitatives et canalisant. La sensualité, l’érotisme, le plaisir, l’orgasme, la séduction ... etc. ne font jamais objets ou visées dans ces textes ; on parle de chasteté, de fidélité, de partager le pire et le meilleur, d'engagement à vie. La notion de devoir et d'organisation constitue la plus grande préoccupation de ces discours.

Et pourtant dans le passé de l'humanité comme dans son présent, les souffrances, les maux sociaux, les douleurs des hommes et des femmes étaient toujours à cause de ce rapport réglé et canalisé, la femme en avait la part de lion. Dans certains systèmes religieux, la femme est totalement absente à ces niveaux, et avec ce fait, le plaisir sexuel, ses prolongements et l'affectivité étaient aussi totalement absents. La sexualité dans ce contexte ne permettait jamais la créativité et la satisfaction ouverte et libre, pour remplir ce vide on a toujours laissé passer sans confirmation la " Prostitution ".

La prostitution jouait donc le rôle de l'équilibre au sein des sociétés, sans être reconnue, au contraire ; la loi jouait un double jeu vis-à-vis d'elle, en la réprimant sévèrement tant tôt, et la laisser faire tant tôt, en fermant les yeux. Cette paradoxe exprime la déchirure irrationnelle et déraisonnable existante dans ces systèmes prétendant la morale; en fait, c'est qu'ils ne sont pas arrivés à résoudre cette problématique : homme / femme, leurs théories sur le mariage n'ont fait que camoufler et légitimer une prostitution gratuite et gâchée où des sujets sont soumis à des supplices, viols, frustration permanente, investissement atroce de leurs corps ; mais vainement les vertus formellement construites essayaient de calmer les âmes enflammées par le désir et l'envie, notamment sexuels.

La vie conjugale reste et perpétue cette structure où l'exercice du pouvoir abusif constitue la règle, au détriment de ce qui est propre et droit chez l'être humain : Le droit à la sexualité et la jouissance inconditionnelle. Nietzsche en disait à raison que " Le concubinage a été corrompu par le mariage » il trouvait en lui, un lieu d’impureté, le mariage et sa morale " est une contre nature ". Je pense que nous sommes en train d'assister dans notre époque à l'effondrement total de cette institution qui n'est en fait qu'une réflexion, un petit simulacre de l'état. Ce dernier étant la source, le début et l'inventeur de cette anomalie : Le mariage.

2- le niveau affectif :

En principe, une relation conjugale, commence par un lien affectif ; dans certains cas, même ce lien n’existe pas, et la relation conjugale débute sans même cette force initiale, ce mariage est certainement voué à l’effondrement. Or, dans le mariage qui commence par une charge affective intéressante, la relation homme / femme a plus de chance de connaître une durée importante ; seulement avec le temps, selon le cas, le taux d’affectivité diminue, et cette relation, devient de plus en plus, normale, fraternelle, et sans aucune motivation. C’est là que l’évolution de couple, prend un autre aspect : le devoir ! les contraintes des vertus résidant dans la culture des deux, et généralement dans la culture sociale, cette culture qui devient une sorte de prison et d’atteinte au droit individuel des uns et des autres. Mais cette affectivité joue un rôle dans la continuité du couple souffrant, elle peut empêcher la rupture, mais pas la volonté des partenaires qui essaient de trouver refuge dans ce qu’on appelle l’infidélité, et c’est là que chacun commence à chercher d’autres expériences et d’autres horizons.

Le rôle de l’affectivité est celui de rendre cette rupture moins difficile, moins tragique dans le couple, mais la tragédie se fait, dure dans certains cas, douce dans d’autres cas, selon le degré de cette affectivité, et selon la culture des deux personnes. Il arrive que chez certains couple, les deux personnes arrivent à une entente, implicite ou explicite, à tolérer la liberté sexuelle extra-conjugale. Dans d’autres cas, le jeu se fait plus ambigu et plus scandaleux. Mais la question qui se pose chez chaque individu est la suivante : Pourquoi dois-je rester contraint de faire taire mes désirs et mes fantasmes ? est-il possible et nécessaire d’accepter sa mort sexuelle et la fin de ses désirs ?

Il est vain de nier la légitimité de ces questions, car même en les niant, elles ne cessent de se poser dans notre horizon ! plus encore, elles ne cessent de guider et d’orienter notre quotidien ! jusqu’à ce que l’individu ait le courage de faire son premier pas dans ce que la culture sociale appelle l’infidélité. Or cette infidélité devient ce qui permet à la personne de se voir renouveler et pencher joyeusement sur la vie.

3- le niveau sexuel :

Le sexe dans la vie de l’homme est quasi important, c’est l’un des composants les plus décisifs dans la vie humaine, malgré les discours moraux qui essaient de minimiser son importance. Les effets de son absence sont d’une extrême gravité. Paradoxalement, les systèmes de valeurs sont toujours restrictives quand t-il s’agit de la liberté sexuelle ; il en résulte que la vie des gens bascule vers l’insatisfaction et la mauvaise qualité de vie. Les maux sociaux augmente et la désolation devient le rythme de routine.

La sexualité n’est pas une donné de luxe, de laquelle on peut se passer, elle n’est pas non plus un phénomène que nous pouvons maîtriser ; au contraire c’est un besoin vital et absolument nécessaire, sans lequel la vie des gens devient handicapé et moins humaine ; la psychanalyse en a montré l’importance insoutenable.

La sexualité n’est pas faite seulement pour la fécondation, cette dernière en est un des résultats ; mais elle faite pour la jouissance, le bien être, la joie, l’émancipation, le bonheur …etc, elle n’est pas seulement nécessaire, mais elle est absolument exigée, faute de quoi la vie humaine est dégradée. Pire encore, elle est objet de pluralité et de savoir faire, c’est pourquoi la vie de couple en est souvent dépendante. Or, les recherches scientifiques montrent que la sexualité a une durée de vie, elle ne peut pas être infinie, ni régulière, dans la plus part des cas, cette vie sexuelle ne résiste que pour quelques années, ainsi la relation homme et femme dans un couple devient pénible et indésirable, voire insupportable.

Dans les trois niveaux que j’ai abordés, c’est le niveau sexuel qui est le plus fragile et le moins persistant. Ainsi l’institution du mariage et contrairement à ce que nous croyons, est une institution contre nature et n’est pas utile pour l’homme ; ce dernier se voit contraint de renouveler sa vie sexuelle et de répondre librement à ses désirs légitime et naturels venant de sa nature qui n’est réductible.

Voilà pourquoi je crois que dans la relation homme / femme est très compliquée, c’est qu’elle répond à plusieurs niveaux, contradictoires et riche. Sinon, qu’est ce qui explique ce qui arrive dans nos sociétés ? s’agit des gens tout simplement « infidèles » ou des gens riches dans leurs intérieurs, luttant contre la mort, aimant la vie ?

TRIBAK AHMED