13.10.07

Foucault et la généalogie



Foucault propose de prendre ses travaux comme des propositions dans leurs ensemble, et non pas comme des dogmes ou des confirmations ; pour lui, ses œuvres ne sont pas des lettres en philosophie, elles ne sont pas non plus des études historiques, mais plutôt des bribes philosophiques dans des ateliers historiques 1.

Je ne pense pas qu’il ait un changement radical dans l’archéologie, ni même un changement superficiel ; je crois plutôt qu’il s’agit de concepts opératoires qui prennent leurs cours selon la nature du travail à faire ; cela explique la vigilance épistémologique de Foucault, c’est une épistémologie qu’on peut appeler : une épistémologie régionale ; mais ce qui reste pour lui constant, c’est exactement deux choses : le discours et la rupture.

Foucault trouve que la généalogie couvre trois domaines : une Ontologie historique qui définit notre rapport à la vérité et c’est elle qui nous permet d’être des sujets de savoir. Une Ontologie historique qui définit notre rapport avec le pouvoir et c’est elle qui nous permet d’être des sujets actifs. Une Ontologie historique sur notre rapport avec la morale et c'est elle qui nous permet d’être des sujets de morale. Il y a donc, trois axes possibles pour la généalogie qu’on trouve dans « l’histoire de la folie », dans « les mots et les choses » et dans « surveiller et punir ». Cela veut dire pour moi, que le cadre général des travaux de Foucault, c’est la généalogie. L’archéologie travaillait comme un outil dans la généalogie et elle avait pour fonction, l’analyse des savoirs, loin de la notion de pouvoir et de la morale. Depuis « les mots et les choses » Foucault présentait son travail comme une archéologie des sciences humaines, et comme une généalogie nietzschéenne.

La généalogie est une recherche historique qui s’oppose à l’usage métahistorique, aux idées idéales et aux abstractions téléologiques, elle s’oppose au récit historique unidimensionnel et à la recherche des origines. Elle travaille à partir de la pluralité, de la dispersion des événements ; elle ne prétend pas la récupération du temps pour la reconstitution de l’histoire, mais plutôt, la récupération des événements dans leur particularité. Le savoir n’est plus seulement du genre des savoirs comme cela été le cas avec l’archéologie, mais plutôt du genre de la volonté et du pouvoir ; l’histoire dans cette perspective, est devenue une série de volontés qui s’échangent la violence pour s’approprier le savoir et le monopoliser, et par là, elle est devenue un jeu de stratégie qui exerce son effet sur la puissance et le pouvoir. Dans « les mots et les choses » le souci était les savoirs, leurs façons d’agir et les règles qui définissent son action, alors que dans les autres ouvrages, ce n’étaient pas les discours dans leurs organisations, leurs tableaux et leurs séries, mais un discours précis dans son rapport avec le savoir et le pouvoir. Ces deux concepts ne se dissociaient pas dans tous ses travaux ; et si on voit dans son cours inaugural : « L’ordre de discours », on trouve qu’il a insisté sur le discours lui-même dans sa spécificité et ce qui le marque par la puissance, où s’effectuent les opérations d’exclusions et d’adaptations au sein des techniques que Foucault a bien montrées.

L’archéologie est donc restée présente en prenant place au sein de la généalogie qui a ouvert largement son cercle ; or l’horizon dans lequel elle a travaillé n’a fait que se renforcer dans le discours ; et si elle s’est intéressée au pouvoir, c’est pour le prendre comme discours. Foucault voyait que la question qui s’impose, c’est la raison pour laquelle on dit que nous sommes réprimés avec tant d’émotion et de haine sur notre passé, sur notre présent et sur nous mêmes 2. Il n’exprime pas ici un travail de sociologie, mais un effort de l’interprétation dans lequel se maintiennent les discours sur la sexualité pour une nouvelle interprétation ; en plus, il ne s’intéresse pas si il y a effectivement un pouvoir ou non, puisque ce qui l’intéresse en premier lieu, c’est ce qui a été dit sur le pouvoir. Le discours et le savoir restent parmi les soucis du généalogiste, et s’il occupait une place privilégiée, c’est parce qu’il nous permet d’écrire ce qui a été dit sur la sexualité à partir de l’âge moderne 3.

Ce qu’il faut tenir en compte, c’est qu’à ce niveau au moins, il ne faut pas parler d’une rupture avec l’archéologie, mais plutôt d’une modération de l’horizon. Il est vrai que l’archéologie ne se définit que comme un élément d’interprétation généalogique, mais toute l’analyse insiste sur les mécanismes de la production des discours.

C’est qu’enfin, Foucault lie le niveau du discours avec deux autres niveaux : la production du pouvoir et la production du savoir. L’analyse archéologique ne s’effacera pas quand elle rejoint la généalogie. Ce qui intéresse Foucault, ce n’est pas la société comme institutions économiques ou politiques, mais la société comme espace de discours et de vérité, pour lui, son sujet général, ce n’est pas la société, mais le discours vérité / erreur 4. Il s’agit de faire l’histoire de la sexualité à partir du présent, cette technique consiste donc à faire une Ontologie du présent en traversant les mécanismes du pouvoir et les pratiques de constitution de soi.

Bref, la généalogie analyse les pratiques culturelles qui ont contribué dans la constitution du sujet comme sujet et objet en même temps. Elle montre que toutes les pratiques culturelles ne sont finalement que des interprétations, c’est pourquoi, elle doit prendre le présent non comme une unité isolée de son passé, mais comme une série liée à tout ce que la structure culturelle a construit comme valeurs et critères. L’analyse tourne vers l’élargissement du cercle que l’archéologie avait suscité sans le pousser à son extrême, c'est-à-dire l’Ontologie du présent où le généalogiste devient lui-même un élément dans la série de l’interprétation, alors qu’avant, il se plaçait hors de cette opération au nom de la coupure archéologique.

C’est une méthode qui met le sujet analysant dans la stratégie de la production du savoir et ne cesse de l’interpréter et de le réinterpréter dans ce jeu infini de la réflexion. En somme, le présent se montre comme horizon et perspective où se refait, non pas la reproduction des valeurs du passé, mais les édifices du sujet dans tous ses niveaux culturels et moraux. Il est vrai qu’on peut retourner cette technique à ce qu’a fait Foucault dans « les mots et les choses » quand il a suivi les mécanismes complexes avec lesquels, l’identité occidentale a construit son discours hors de l’autre et du différent, mais la question maintenant se prolonge à ces structures morales pour déconstruire ses discours.

Ce qui intéresse Foucault à partir de là, c’est la production de l’histoire de l’ensemble des valeurs avec lesquelles, le sujet s’est positionné dans l’espace où se croisent pouvoir et vérité. Il faut donc voir comment les concepts de l’archéologie se font à nouveau dans le champ de la généalogie. Dans « surveiller et punir » Il n’est plus question de voir ce qui a été dit sur la punition et la prison, mais de voir les autres niveaux de la stratégie, c'est-à-dire l’ensemble des choix, puisqu’il s’agit de faire l’histoire des pratiques rationnelles ou plutôt le rationalisme des pratiques 5. Et puisque le concept de rationalisme provoque beaucoup ambiguïté, alors la meilleur façon de diagnostiquer le pouvoir doit se faire à travers la réduction de ce phénomène à un ensemble de stratégies, en plus cela ne doit pas se faire en terme d’idéologie, mais à travers une analyse des séries de stratégies.

Or la notion de stratégie a trouvé une réussite dans l’analyse archéologique à cause de son rôle dans le découpage des discours. Il faut découper l’appareil du pouvoir en ensemble de choix techniques après les avoir isolés l’un de l’autre, et là nous ne sommes pas sorti de l’analyse régionale ; nous trouvons les mêmes caractéristiques archéologiques quand on voit les manières avec lesquelles on traite l’événement historique.

En fait, malgré le rapprochement entre Foucault et les annales, cela ne l’empêche pas de reconsidérer certains concepts historiques qui sont restés négligés à cause de l’influence de cette école sur lui. Parmi ces concepts, celui de la formation de l’événement, c'est-à-dire les manières avec lesquelles on coupe les faits historiques, c’est une perspective puisqu’elle questionne l’événement dans son simple niveau, en s’appropriant et en découvrant ses vides et ses imprévus, alors qu’on n y voyait que l’évident. Dans ce cadre, Foucault, ne cessera pas de poursuivre les événements dans leurs détournements et leurs dispersions, même si son intérêt est la généalogie du sujet et l’ordre de la vérité.

L’analyse archéologique appartient toujours à la philosophie de l’événementiel, et Foucault ne fait que réadapter cette technique dans ses derniers ouvrages. Il est vrai aussi, qu’il s’est approché de Max Weber, mais il est resté attaché à son type de savoir ; même s’il étudie la technologie du pouvoir, il reste en cohérence avec la ligne qu’il a tracée depuis le début des années soixante, c'est-à-dire la recherche de nouveaux horizons dans l’analyse des sciences humaines.

De ce point de vue, la déconstruction des structures punitives et celles du pouvoir en général peut contribuer à la compréhension des formations et des développements de quelques formes de savoir comme les sciences humaines. Dans " surveiller et punir ", il montre qu’il fait une approche globale où s’interfèrent les technologies de pouvoir et l’humanisation des structures punitives, et au lieu d’une histoire du code pénal et des sciences humaines, il faut, selon lui, chercher s’il y a là, une base commune, et s’elles émanent d’un processus de formation épistémologique et juridique 6.

En fait, Foucault a sauvé l’Histoire comme espace de recherche et de réflexion, parce qu’il n’était plus possible de la penser en terme de concepts métaphysiques qui ont régné depuis des siècles ; il a réussi à lui redonner sa considération et à l’approcher de la science et du rationalisme ; or, il faut dire que cela est due à trois facteurs : 1- l’influence positive de Nietzsche et de Heidegger. 2 – le progrès des sciences humaines et des sciences techniques. 3 – l’évolution de la pensée épistémologique.

Il faut voir aussi la tradition française dans l’épistémologie, il s’agit là de Bachelard. L’épistémologie s’intéresse aux savoirs scientifiques et leurs degré de scientificité ; mais vue cela, elle prend l’Histoire comme matière de base dans l’analyse ; cela ne veut pas dire que toute l’histoire des sciences est philosophique, mais cela veut dire que toutes les philosophies du concept en étudiant la science dans son historicité, ne se limitent pas à la description, mais bien plus que cela.

L’épistémologie distingue entre la pensée philosophique et l’analyse de l’histoire des sciences, cette dernière pose une vraie question à la philosophie, c'est-à-dire la question de la scientificité. Pour elle, la science est un discours sur les critères et est aussi le lieu de la vérité, cependant elle est productrice de la rationalité. Et si la raison a une histoire, alors l’histoire des sciences est la seule capable de déchiffrer son chemin. L’épistémologie est une philosophie qui étudie la question du rationalisme à travers la science comme un acte rationnel, pour cette raison on comprend la nécessité d’une épistémologie régionale.

On peut cependant dire que l’archéologie est un investissement du champ des sciences humaines, elle suit son propre chemin, mais toujours dans l’espace de l’épistémologie ; de cette façon elle a retiré l’histoire de son sens vague, vers un sens épistémologique. Il y a un élément commun chez tous les épistémologues, c’est leur refus de Hegel.

On peut dire que ce qui rassemble tous les épistémologues est : 1- le refus de l’Hégélianisme. 2- l’histoire est devenue pour eux un moyen et non pas une fin. 3- l’histoire est objet d’empirisme selon la nature de chaque domaine. 4- la libération de l’humanisme classique.

Cependant, Foucault reste le premier à introduire l’histoire dans le champ des sciences humaines ; c’est vrai, elle reste une pseudo science, mais toujours loin de l’Hégélianisme. La philosophie et l’histoire chez Foucault sont, le domaine politique et historique où s’effectue l’Ontologie du présent, l’histoire de la folie parle des illusions de la psychiatrie, du discours et de la pratique médicale qui mettaient les individus dans des espaces d’enfermement et d’emprisonnement, elle parle des contraintes, elle montre comment la raison occidentale a traité la folie, les prisonniers, comment elle a tracé le partage entre les gens, et comment elle a créé l’exclusion.

TRIBAK AHMED

TRIBAK AHMED

1- Foucault M. : « L’impossible prison » Textes réunis par Michelle Perrot, Ed. Seuil, Paris, L’univers historique 198, p. 41.
2- Foucault M. : « La volonté de savoir » Gallimard, p. 16.
3- Foucault M. : « L’impossible prison » p. 55.
4- Foucault M. : « L’impossible prison » p. 55.
5- Ibid. p 34.
6- Foucault M. “ surveiller et punir” Gallimard, p. 28.

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